« S’évader hors des quartiers » : des sorties en bus pour faire profiter les familles de « l’Été marseillais »

À Marseille, les familles issues des quartiers prioritaires profitent de sorties gratuites ou à prix réduit, pour ‘s’évader hors des quartiers’, quelques journées par an. Les partenaires de la ville ont mis en place de nombreux bus dédiés à cette aide aux vacances.

 

Pourquoi ?

Chaque année, du fait de leurs conditions matérielles, de nombreux enfants en France ne peuvent pas partir en vacances. Si, en 2021, déjà un enfant sur dix était concerné au niveau national (INSEE), cette proportion va encore en croissant dans les quartiers prioritaires, touchés par la précarité. La hausse des prix du secteur devrait renforcer cette tendance.

Dans les conditions de vie difficiles qui sont les leurs, certaines familles doivent procéder à des arbitrages économiques lesquels excluent très souvent la possibilité de partir en vacances. Nombre d’enfants et d’adultes restent ainsi « au quartier » durant la période estivale.

Or, Marseille, ses centres sociaux, élus et associations, souhaitent que les enfants puissent s’évader, ne serait-ce que le temps d’une journée découverte en nature ou dans un lieu culturel.

Comment ?

Au fil des années, le contrat de Marseille a mobilisé une programmation estivale soutenue, avec des colonies de vacances apprenantes, et d’autres outils appuyant cette mobilisation comme les dispositifs de la ville « Vie Vacances » et « Quartiers d’été ».

À l’été 2023, la ville a décidé d’accentuer cet engagement, avec le déploiement de bus dédiés à accompagner des enfants ‘hors du quartier’.

Pour ce faire, la ville a lancé un appel à projets intitulé « S’évader dans les quartiers ». Il a pour but de favoriser l’organisation d’activités culturelles au sein des quartiers populaires en soirée pendant les mois d’été. Dans ce cadre, 30 soirées (cinémas et lectures en plein air, guinguettes, soirées musicales) ont été organisées avec un soutien financier à hauteur de 100 000 € de la ville de Marseille. Avant tout : pendant l’été 2023 la ville a mis gratuitement à disposition des centres sociaux ou associations une cinquantaine de bus – mobilisés via un marché de transports existant – pour faciliter l’organisation de sorties.

Les destinations sont choisies conjointement par ces organisateurs marseillais et par les habitants, et peuvent s’étendre jusqu’à 150km de la métropole, permettant parfois un véritable dépaysement vu la variété des paysages et des lieux culturels disponibles en Provence. Ces sorties sont principalement tournées vers les enfants, qui doivent se dépenser l’été, pour mieux vivre leur quotidien et leur scolarité. Mais de plus en plus, elles visent à inclure l’ensemble des familles ainsi que les séniors dans leurs propositions.

Quel bilan ? 

Au total, près de 4 000 habitants, dont une majorité d’enfants, ont pu partir une journée en excursion de loisirs, hors du quartier. Si le dispositif concerne principalement l’été marseillais, les vacances de la Toussaint ont été intégrées au projet pour permettre aux familles plus de flexibilité, Ainsi, 50 sorties ont eu lieu eu lieu entre le 15 juillet et le 5 novembre 2023, permettant aux enfants et parfois aux familles de découvrir de nouveaux horizons, sans avoir à partir très loin ou à dépenser beaucoup. Des sorties à la neige viennent désormais compléter ce programme durant l’hiver.

Les retours ont été très positifs, preuve en est que les activités affichent toujours complet, et que la ville est d’ores et déjà sollicitée pour renouveler la mise à disposition des bus.

Parmi les destinations les plus prisées, les habitants ont choisi les lacs de Peyrolles et de Sainte-Croix, le célèbre festival d’Avignon ou encore les alentours de Saintes-Maries-de-la-Mer.

 

Le projet en photos

 

L’interview de Sandrine Sabatier, référente famille au centre social St Just et de Fatna Fekih, présidente de l’association « Atout Femmes »

 

Comment travaillez-vous avec vos partenaires pour déployer ces activités ?

Mme Sabatier : Au départ, la ville de Marseille m’avait contactée pour mettre à disposition des cars pour les sorties. Nous en prévoyons habituellement cinq par an, mais en 2023 nous sommes parvenus à en organiser une de plus.

Mme Fekih : Il en va de même du côté de mon association, Atout femmes : nous avons réussi à prévoir sept sorties en bus cette année, au lieu des six prévues !

Mme Sabatier : Ce sont vraiment des temps très attendus par les familles, qui s’inscrivent même sur des listes d’attente. Ainsi, par exemple, nous nous sommes rendus au Seaquarium Institut marin le 18 août dernier avec de nombreuses familles. L’avantage est que ce type de sorties concilie un moment de culture et un temps de loisirs. Le matin, les familles ont donc visité le Seaquarium librement, et l’après-midi elles ont pu se détendre sur les immenses plages du Grau du Roi, bordées d’un espace vert. En termes d’organisation, nous avons donné rendez-vous aux participants à une station de métro près du centre social, desservie par de nombreux bus. Grâce à l’action des centres sociaux, c’est une grande partie du périmètre marseillais qui a été desservie pour permettre aux familles d’accéder à cette sortie, ce qui est essentiel puisque nous sommes au cœur de trois quartiers prioritaires : Courreau, Bellevue et St-Paul. Ainsi, 63 personnes ont pu prendre part à cette excursion grâce aux financements de la mairie. Ces financements ont également permis d’obtenir des sacs, gourdes et de la documentation pour les familles, facilitant leur organisation.

Nous nous sommes également rendus deux fois à la neige, à Ancelle, les 4 et 11 février. L’été, nous avons pris le bateau jusque sur l’île de Porquerolles en juin, avons profité du parc aquatique Wave Island en juillet et nous sommes baignés au lac de Peyrolles en août.

Ces moments ont été très appréciés, et ce d’autant plus que les tarifs de ces activités sont ordinairement assez élevés, même pour des familles de classe moyenne. Là, elles ont pu bénéficier de tarifs préférentiels sur les activités, et du transport gratuit.

Mme Fekih : Le fonctionnement est évidemment un peu différent dans le monde associatif.
Personnellement, je me suis investie très jeune dans les milieux politiques, et ayant toujours été à Marseille, je connais bien le maire et ses associés ou encore la délégation du préfet. Pour étoffer ce réseau, je participe à tous les ateliers et réunions proposés dans le cadre associatif, et m’investis dans les conseils d’administration d’autres associations que la mienne. Tous ces contacts un peu « couteau-suisse », me permettent d’étayer mon offre auprès des habitants, en nouant des partenariats parfois en dehors des procédures conventionnelles. Par exemple, j’ai bénéficié d’un appui sur mon dossier associatif, de la part des équipes de la politique de ville.

À titre d’exemple, j’ai reçu les équipes du Théâtre Joliette à mon domicile, puisque nous ne disposons pas de locaux, par l’intermédiaire de l’association Culture du Cœur à laquelle je suis adhérente. Il y a plein d’autres cas de sorties organisées à l’aide de partenariats associatifs, notamment avec Forum Femmes et Méditerranée, le Collectif 13 des assos, l’ES13 pour ne citer qu’eux. Ainsi, j’emmène les habitants au Mucem, à l’opéra, au théâtre et au cinéma, ou dans de beaux lieux naturels, selon les tarifs préférentiels ou les invitations que je peux me procurer. Je trouve cette approche associative ouverte, elle est pour moi complémentaire à tout le travail institutionnel réalisé par exemple par les centres sociaux.

Mon objectif principal est de faire du « vrai social », si je puis dire. J’échelonne les tarifs selon le niveau de précarité des familles qui souhaiteraient profiter des sorties estivales, par exemple. Cela à permis à de nombreux ménages de participer à une magnifique visite du Colorado provençal et son village Rustrel, que je découvrais moi-même pour la première fois, ou encore le chemin Marcel Pagnol en visite guidée, en partenariat avec l’association Marseille autrement. Pour revenir à la Joliette, nous avons inauguré une petite billetterie solidaire spécialement pour mes adhérents, que la chargée de relations avec les publics a complété de quelques invitations pour générer des tarifs groupés à 3 euros par personne Par ailleurs, ce tissage de liens sociaux donne envie aux adhérents de s’impliquer à leur tour, je reçois énormément d’aide de leur part pour monter tous ces projets. Il y a là un vrai cercle vertueux social.

 

Comment sont choisies les activités ? 

Mme Sabatier : Nous organisons des réunions collectives avec les habitants, qui choisissenteux-mêmes les lieux, à partir de leurs recherches. La concertation se fait donc de façon participative, et nous voyons ensuite ce que nous pouvons mettre en place selon les moyens dont nous disposonsen variantles activités de « consommation », les loisirs, et les sorties culturelles. Les 27 janvier et 3 février prochains, nous renouvelons les sorties à la neige. Comme nos subventions baissent, nous avons été contraints d’augmenter les prix de 12 à 17 euros. Mais vu l’opportunité que ces tarifs représentent tout de même, les inscriptions sont déjà complètes !

Par-delà l’aspect matériel, les familles évitent aussi la fatigue de la conduite (pour les familles qui ont accès à un véhicule !) et le stress de l’organisation. Selon leurs activités, elles peuvent aussi simplement déposer leurs enfants lorsqu’elles ne peuvent pas poser de congés, par exemple. À noter que les sorties sont ouvertes à tous.

Mme Fekih : J’ajouterais à cela, du point de vue strictement associatif, qu’étant ouverts du lundi au dimanche sans interruption, nos actions permettent de compléter les actions plus institutionnelles limitées aux horaires de bureau. J’organise plein de sorties le dimanche, ce qui permet de palier le frein des horaires de travail qui s’ajoute à ceux évoqués de la conduite ou des finances, mais aussi la pénurie des chauffeurs, en réservant longtemps à l’avance, puisqu’ils sont moins sollicités le dimanche.

 

Quels sont vos objectifs pour 2024, et après ?

Mme Sabatier : Pour les activités, nous n’avons pas d’objectif particulier si ça n’est d’assurer leur pérennité, d’autant plus qu’elles fonctionnent si bien. Personnellement, je suis arrivée dans ce centre social il y a dix ans, et la ville se mobilisait déjà sur ces sorties à l’époque. Nous voulons donc simplement consolider les acquis.

Toutefois, un autre objectif du centre social St Just est d’accompagner les familles vers l’autonomie dans la préparation de leurs vacances, grâce aux aides de l’Agence Nationale des Chèques-Vacances et aux dispositifs prévus par la CAF. Nous avons mis en place un projet intitulé « Comment partir en vacances ? », permettant notamment d’éviter le non-recours à ces aides parfois méconnues des familles. Nous lançons chaque année un appel à projets commun à la fédération de l’Union des Centres Sociaux pour demander des financements complémentaires. Nous avons travaillé en collectif pendant deux ans, avant que l’autonomie conférée par ce programme permette de développer un suivi individuel des familles, qui montent désormais parfois leurs propres projets.

Ainsi, un groupe de dix femmes a monté son propre projet pour découvrir Paris sur deux nuits et trois jours. Âgées de 39 à 75 ans, certaines n’avaient jamais visité la capitale voire jamais pris le train, il s’agissait d’une vraie découverte pour elles. Elles ont si bien préparé cette initiative qu’elles ont pu faire financer leur voyage, et vivre une très belle expérience collective.

Dans le même esprit, d’autres groupes de femmes ont pu solliciter un chorégraphe et monter leur propre spectacle de danse. Certaines ont profité de trois représentations par an au théâtre de La Criée, elles qui n’avaient jamais pu assister à un spectacle auparavant. Elles ont été accueillies par le directeur du théâtre lui-même, bénéficiant un peu d’un traitement privilégié. Cela leur permet de réinvestir les lieux culturels de façon autonome, puisqu’elles sont autant citoyennes que leurs paires plus aisées, et doivent pouvoir profiter de ces lieux culturels au même titre qu’elles.

Est-ce que vos actions sont plus particulièrement à destination des femmes ?

Mme Sabatier : Non, mais au travers de ces animations, on génère du lien social, surtout pour certaines femmes qui voient le centre social comme « leur refuge », et qui nous confient que leurs maris aussi sont tranquillisés par cet accompagnement de leurs épouses. Bien sûr, nous organisons aussi des activités plus traditionnellement perçues comme « masculines » comme de la pétanque ou du bricolage. Nous aimerions en effet voir les hommes profiter davantage de ces temps pour eux, car les visiteurs du centre social sont à 80% des femmes. Les hommes participent davantage aux sorties familiales qu’aux activités loisirs qui leurs sont destinées, en fin de compte.

Mme Fekih : Moi non plus, je ne vise pas spécialement les femmes. Le public de mon association est un grand brassage interculturel et intergénérationnel. En fait, lorsque j’ai fondé mon association il y a plus de 35 ans, nous étions effectivement une équipe féminine aux commandes – qui s’est élargie depuis – ce qui explique le nom Atouts femmes. Et effectivement, du fait des expertises que présentait cette équipe, je me suis beaucoup intéressée aux problématiques de citoyenneté féminine, de lutte contre les violences sexistes, des droits des femmes ou de l’appropriation féminine de l’espace public par exemple. Mais pour les activités loisirs/culture et les sorties en bus, les participants sont tout à fait représentatifs de la diversité démographique de la ville.

Quels sont les prochains objectifs d’Atout Femmes ?

Mme FEKIH : J’aimerais également continuer sur la voie lancée par Atouts femmes et les différents partenaires de la ville pour continuer d’offrir, chaque année, des activités les plus variées possibles. J’identifie certains freins que j’aimerais pallier. Nous avons évoqué les sorties du dimanche contre la pénurie des chauffeurs, mais lorsque la situation ne le permet pas, alors nous organisons des covoiturages pour compléter ce dispositif.

Sinon, les baisses de subventions culturelles ont beaucoup affecté le nombre de tickets que je récupère pour l’opéra ou le Théâtre de l’Odéon. Mais malgré le travail colossal que cela demande, nous parvenons toujours à trouver des invitations, ou à proposer d’autres types d’activités comme des cours de sport à moins de 10 euros par mois pour plusieurs heures par semaine, des manifestations culturelles variées… nous entendons ainsi, par exemple, prochainement reprendre les participations au festival du film arabe organisé par l’Aflam.

 

©Crédit photos : Ville de Marseille

 

Fiche d'identité de la communeLe projet en chiffresPour aller plus loin
  • Nom : Marseille
  • Département : Bouches du Rhône
  • Région : Provence Alpes Côtes d’Azur
  • Population : 861 635 habitants (2015)
  • Maire : Benoît Payan
  • Site internet : Site de la ville
  • 1 enfant sur 10 ne peut pas partir en vacances, chaque année en France
  • 50 sorties ont eu lieu eu lieu pour la seule période du 15 juillet au 5 novembre 2023
  • L’appel à projets « s’évader hors des quartiers » a bénéficié d’un soutien financier à hauteur de 100 000 € de la ville de Marseille
  • 4 000 habitants ont profité du dispositif, dont une majorité d’enfants
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