Evreux réconcilie ses habitants avec l’orthographe : focus sur la dictée géante et la méthode Joannidès

 

À Évreux, labellisée cité éducative, une collaboration entre la ville, une docteure en sciences du langage, la mission locale et d’autres partenaires, vise à promouvoir la réussite éducative et l’acquisition ludique des savoirs. Qu’ils s’agissent des élèves dans les établissements, de jeunes de plus de 16 ans sollicitant les services de la mission locale, ou de séniors passionnés d’orthographe et nostalgiques des dictées d’antan, une foulée d’habitants d’Evreux aux profils variés ont pu bénéficier d’outils et d’animations innovantes dans le cadre de ce projet sur l’orthographe, avec notamment la dictée géante de Rachid Santaki, et la méthode Joannidès pour apprendre l’orthographe autrement. 

Pourquoi ?

L’orthographe est un pouvoir, et ne pas le maîtriser constitue malheureusement un véritable handicap social et professionnel. Alors que certains peuvent vivre amèrement ces difficultés, et peinent à s’y intéresser, le projet vise à trouver des prétextes ludiques pour consolider cet apprentissage, mais aussi démontrer qu’il peut générer du jeu, des échanges, des idées, et fédérer les gens. Ce projet est né dans le cadre des cités éducatives.

L’objectif était donc de favoriser l’apprentissage de l’orthographe à l’échelle locale, mais aussi d’en faire un outil, un pouvoir, plutôt qu’une compétence académique à valider ou non, par des examens rébarbatifs. Pour ce faire, il fallait sortir des sentiers battus, et proposer des expériences novatrices liées à l’orthographe, loin des bancs de l’école.

Comment ?

La ville s’est associée avec différents partenaires pour promouvoir cette réconciliation sur son territoire. Ainsi, Roxane Joannidès, docteure en sciences du langage, dispense désormais une formation à la mission locale, basée sur sa méthode novatrice d’apprentissage de l’orthographe. Rachid Santaki, lui, y a importé ses dictées géantes, larges rassemblements de passionnés et d’anciens réfractaires à l’exercice.

Dans le cadre de la labellisation « cités éducatives » d’Evreux, ces temps d’animation sont donc devenus des prétextes à la promotion de l’orthographe en tant que discipline ludique et parfois passionnante. L’objectif n’est pas de se substituer à l’Education Nationale, et d’insister sur l’apprentissage académique, mais plutôt de favoriser la cohésion sociale, l’employabilité, et la curiosité lors de temps d’échanges plus informels. Tous ces événements, déployés récemment dans la ville, participent donc à une réappropriation collective du Français et de ses règles orthographiques.

Quel bilan ? 

La première dictée géante à Évreux a déjà réconcilié de nombreux publics avec l’exercice, qu’ils se sont appropriés grâce aux ateliers préalables. La formation dispensée à la mission locale pour apprendre l’orthographe plus facilement, avec moins de règles, a aussi permis une augmentation des compétences d’au moins 40% à l’issue des sessions, là où la dictée géante a rencontré son succès habituel.

Les porteurs du projet ont ainsi réalisé que la demande des habitants en formation en orthographe est conséquente, et que par-delà le seul changement de méthode d’apprentissage, le simple fait de sortir du cadre purement scolaire permet déjà de ressusciter l’intérêt des élèves et des anciens scolarisés, et même des plus réfractaires.

 

Le projet en photos

 

L’interview de Roxane Joannidès, docteure linguiste spécialiste en orthographe, créatrice de la méthode Joannidès et de Rachid Santaki, journaliste, romancier et fondateur de la dictée géante

 

Quelle était votre objectif originel en proposant ces activités ?

M. Santaki : La dictée géante a initialement été portée dans le cadre de l’association 93 lettres, qui initie des activités d’introduction à l’écriture, d’ateliers de lecture et d’écriture, de journalisme, de culture et de littérature, de publications et productions audiovisuelles etc… À l’origine, elle s’appelait « la dictée des cités », et se rapprochait plutôt d’une dictée classique, au fonctionnement vertical. L’activité avait du succès auprès des associations, qui reprenaient le concept.

Malgré toute la bienveillance et l’expertise des enseignants dans les écoles, le cadre scolaire peut rebuter, voire dégoûter les apprenants de la dictée, aussi souhaitais-je instaurer une réconciliation collective, dans des lieux insolites, sans dévalorisation en cas d’erreur, où on apprend collectivement sur l’orthographe français.

Mme Joannidès : Lorsque j’ai rencontré les équipes de l’EPN (Evreux / Portes de Normandie) -notamment les élus M. Ettazaoui et Mme. Comellas-, je leur ai proposé ma formation. L’objectif latent de proposer une formation différente à l’orthographe dans cette mission locale était d’apporter des solutions favorables à l’employabilité, et au bien-être professionnel de la population, voire à la réinsertion. Les impacts socioprofessionnels de lacunes en orthographe sont extrêmement conséquents, aussi ce type de formation permet-il de rectifier le tir et de proposer des solutions.

 

Quelle nouveautés apportent vos méthodes d’apprentissage de l’orthographe à Évreux ? 

M. Santaki : De mon côté, la dictée géante n’a pas toujours existé sous un même format. Mais depuis 2018, les dictées se sont améliorées pour devenir plus horizontales, avec un texte rédigé et choisi collectivement, de même que pour le temps de correction. On réalise une quinzaine, à peu près, d’activités par groupes, pour rédiger, ensemble, un texte de 110 à 120 mots, que je remanie ensuite. De la même manière, à la fin, nous corrigeons ensemble, en prenant le temps de réexpliquer les règles pour apprendre de ses erreurs, et il n’est plus question de ramassage des copies et d’une notation individuelle, mais bien encore une fois de profiter de l’exercice pour organiser un temps d’échange et de cohésion, autour de l’orthographe.

L’événement est aussi unique par son ampleur : largement médiatisée, la dictée a un jour même vu la participation de 1700 personnes ! Lorsqu’elle a eu lieu à Evreux, nous l’avons organisée au Théâtre Legendre d’Evreux, un lieu exceptionnel afin de susciter l’enthousiasme des participants.

Mme Joannidès : Quant à ma méthode pour revisiter l’apprentissage de l’orthographe, sa spécificité est qu’elle ne repose pas sur la mémorisation. En effet, contrairement aux idées reçues, la pratique habituelle du « par coeur » pour l’apprentissage de l’orthographe ne profite qu’à une minorité d’apprenants, dont le fonctionnement cérébral est adapté à cette méthode en particulier. Ce constat, ainsi que la méthode qui en a découlé, résultent de nombreux travaux que j’ai mené en sciences du langage, étant spécialisée en didactique de l’orthographe, avec en fil rouge, une question centrale : comment s’approprie et se transmet l’orthographe ?

Il m’a fallu faire un tour de la littérature scientifique sur le sujet. À partir de travaux de recherche, j’ai souhaité développer une méthode alternatives à celles pratiquées à l’écoles, sans reposer sur la mémorisation, donc. Plutôt que d’apprendre par coeur, l’apprenant doit selon moi surtout comprendre les logiques de l’orthographe. L’orthographe est un système extrêmement logique et organisé, dans lequel toutes les lettres jouent un rôles, et sont reliées en elles selon des hiérarchies.

C’est cette compréhension du système orthographique qui va en faciliter l’assimilation, et ce pour tous les profils d’apprenants. Je fais parfois utiliser d’autres outils que l’écriture, comme des briques de jeux de construction ou bien des perles, pour que chacun puisse visualiser  cette imbrication organisée et logique de lettres et de mots, dans la langue française.

 

Quel bilan faites-vous de votre activité et quels sont vos objectifs pour la suite ?

Mme Joannidès : Pour l’heure, la formation a touché une audience avoisinant les 150 personnes. Elle s’étale sur deux journées complètes, puis sur 4 classes virtuelles, d’une demi-heure chacune qui vont ancrer les acquis des deux journées de formation.

Selon les dernières données dont je dispose, le taux d’évolution de l’augmentation des compétences en orthographe est d’environ 40% sur une seule journée de formation, et plus de 48% pour les profils plus en difficultés. C’est là selon moi un succès des classes, puisqu’elles profitent davantage aux apprenants les plus en difficulté.

Ce projet devrait bientôt mener au développement d’une application mobile, avec Smart up, la pépinière d’entreprises de la CCI d’Evreux, de l’EPN et de la base aérienne. Je serai donc de nouveau accompagnée par la ville sur ce déploiement, qui est une continuité de ma formation alternative.

M. Santaki : Quant à l’association, nous essayons, après chaque dictée géante, de proposer une autre activité qui s’inscrit dans sa continuité pour capitaliser sur l’enthousiasme qu’elle a générée. Ainsi, par exemple, à Lognes, en Seine et Marne, la dictée va finalement déboucher sur un festival l’an prochain, avec un concours d’écriture destiné aux habitants. Nous entendons étendre ce type d’actions à tous les territoires qui ont apprécié l’exercice de la dictée géante.

 

©Crédit photos : Ville d’Evreux

 

Fiche d'identité de la communeLe projet en chiffresPour aller plus loin
  • Nom : Evreux
  • Département : Eure
  • Région : Portes de Normandie
  • Population : 49 426 habitants (2015)
  • Maire : Guy Lefrand
  • Site internet : Site de la ville
  • Crée il y a 10 ans, la dictée géante fonctionne sur un mode participatif depuis 2018. 
  • 35000 participants ont déjà pris part à 180 dictées géantes dans toute la France. 
  • La méthode Joannidès est proposée à la mission locale d’Evreux, à raison de 2 journées de formation complétées de 4 classes virtuelles. 
  • Le taux d’augmentation des compétences à l’issue de la formation est d’au moins 40% en une seule journée, et plus de 48% chez les personnes avec le plus de difficultés orthographiques.
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