Comment réguler le marché des logements touristiques pour mieux loger les habitants de Dieppe ?

Pour faire face à la flambée des prix du marché de l’immobilier et à l’augmentation du nombre de meublés utilisés comme résidences secondaires, la ville de Dieppe a choisi de prendre les devants.

Pourquoi ?

À Dieppe et dans bien d’autres régions françaises, on observe une tension accrue sur le marché du logement. Cela signifie aussi bien des difficultés pour les locataires de trouver une offre de logement permanent qu’une augmentation des prix de loyer. À Dieppe, un certain nombre de propriétaires ont transformé leurs biens en vue d’en faire des résidences secondaires, exploitées à des fins touristiques, ce qui génère une indisponibilité de logements pour les habitants du territoire, une très forte hausse des prix .

Comment ?

Depuis près de quinze ans, la ville et son office du tourisme suivent de très près la situation pour mieux l’analyser. En voyant, depuis la pandémie notamment, que la situation empire d’année en année, la ville a décidé de mener une action de nature juridique pour obtenir des compétences dérogatoires et réguler elle-même son marché du logement grâce à des quotas. Elle est la première ville de la région à lancer ce type d’actions, qui permet depuis quelques mois de refuser certaines demandes de changement d’usage en meublés de tourisme, afin de privilégier dans les faits, la population dite « permanente ».

Quel bilan ? 

Avec quelques aides accordées peu à peu, notamment par l’État et des Assises du logement organisées en mars 2024, la ville a pu œuvrer pour la régulation de ce marché, tout en recueillant les doléances des premiers concernés, les habitants eux-mêmes. La mairie agit aussi pour déployer progressivement une offre hôtelière alternative à l’offre « classique » qui existe déjà mais dont les visiteurs et surtout les jeunes se détournent. En renvoyant donc les touristes vers une nouvelle offre hôtelière reconstituée, et en obligeant les propriétaires à demander l’autorisation de changer l’usage de leurs locaux, la ville a déjà commencé à réduire le nombre de résidences secondaires à Dieppe, et donc à préparer le terrain pour un favoritisme de ses habitants actuels et à venir.

À moyen terme, la ville estime que 215 logements seront déjà remis à la location « traditionnelle » !

 

Le projet en photos

 

L’interview d’Isabelle Gattaz, directrice Stratégie commerciale, Économie et Tourisme à Dieppe

Comment s’observe, très concrètement, la dérégulation du marché locatif à Dieppe ?

Mme Gattaz : Depuis plusieurs années, et tout particulièrement à partir du Covid, on observe une tension accrue sur le marché du logement. Cela signifie aussi bien des difficultés pour les locataires de trouver une offre de logement permanent, et des prix de loyer augmentés. Quant aux transactions immobilières, elles ont suivi le même chemin, alors qu’un certain nombre de propriétaires se sont rendus acquéreurs à Dieppe en vue de faire de ces logements des résidences secondaires… On a donc une augmentation de ces résidences secondaires sur le territoire de l’ordre de 12%. Ce n’est pas autant qu’au pays basque ou à St-Malo, mais cela reste très conséquent, et contribue à la grande tension du marché de ces ventes et achats, avec des prix qui augmentent de 25 à 30% sur les 3-4 dernières années seulement.

J’ai observé depuis 2010 une augmentation, chaque année, du nombre de déclarations de nouveaux meublés. Entre 2010 et 2015, on avait une grosse vingtaine de nouvelles déclarations, cette procédure étant obligatoire dans le code du tourisme. Entre 2016 et 2019, on passe à 60 et 80 déclarations par an… et à plus de 170 en 2022 et plus de 250 en 2023!
D’une part, les résidences secondaires augmentent mais aussi la rumeur annonçant que nous souhaitions réguler ce marché s’est ébruitée sur ces dernières années, conduisant les gens à accélérer leurs démarches pour transformer leurs biens en locations touristiques

En quoi cette situation pénalise-t-elle les Dieppois ? Comment lutter contre cette dérégulation ? 

Mme Gattaz : Cette situation  implique que près de 1000 personnes ne peuvent actuellement pas accéder à ces logements, mis à la disposition des touristes pour des prix plus élevés : la population permanente est donc largement pénalisée par cette tendance ! La ville peut difficilement accueillir de nouveaux Dieppois, ni même offrir un parcours de logement digne de ce nom aux habitants de longue date.

Nous avons donc agi en demandant au préfet de reconnaître la légitimité de nos motivations, pour obtenir un arrêté préfectoral nous permettant de réguler nous-même. En décembre, l’arrêté arrive, instaurant une obligation pour les propriétaires qui veulent mettre leur bien en location touristique de nous faire parvenir une demande de changement d’usage, que nous acceptons ou non.

Comment décidez-vous d’attribuer ou non ces autorisations de changement d’usage ?

Mme Gattaz : À l’aide de quotas !

L’ancien formulaire que nous proposions à ces propriétaires n’était pas contraignant, il n’avait qu’une portée déclarative. Maintenant, le numéro d’enregistrement, que nous choisissons d’attribuer ou pas, constitue une procédure dérogatoire à laquelle les propriétaires de résidences secondaires ne peuvent échapper. D’ordinaire, cette disposition ne s’applique qu’aux zones dites tendues ou bien aux communes de plus de 200 000 habitants. Mais le préfet a tranché et reconnu la légitimité de nos motivations pour la faire appliquer sur le territoire dieppois.

Les propriétaires de résidences secondaires doivent ainsi tous obtenir un numéro d’enregistrement depuis décembre 2023, accompagné d’une taxe de séjour dont ils doivent s’acquitter. Et nous attribuons ou non selon des quotas que nous avons déterminés en fonction du ratio entre le nombre de meublés touristiques sur un secteur donné de la ville et du nombre total de logements sur le même secteur. Au-delà d’un certain seuil, nous refusons toutes les demandes !  Le tout, avec un suivi précis assuré par l’Office du tourisme.

Estimez-vous être très stricts envers les propriétaires de meublés touristiques ?

Mme Gattaz : En fin de compte, on constate que les habitants, et tout particulièrement les jeunes, se détournent de l’offre hôtelière classique, trouvant d’autres avantages dans ces meublés. Il fallait bien répondre à ce constat. Pour autant, il n’est pas question de les interdire, mais bien de réguler le marché. Cette régulation doit tout de même rester assez forte, car nous avons d’importants besoins actuels et à venir pour des projets de développements sur le territoire. À noter que deux projets de construction d’EPR, décidés par l’Etat, sont prévus à Penly, avec deux nouveaux réacteurs. Cela implique l’arrivée sur le territoire de 10 000 salariés pour ce grand chantier, avec au moins plusieurs centaines d’employés qu’il faut loger pour les prochaines années. Il y a certes un programme EDF de logements provisoires, mais le marché privé doit aussi jouer le jeu, et ce d’autant plus qu’il y aura au moins 2000 salariés qui resteront sur place durant dix ans, pour assurer la maintenance des réacteurs ! Ainsi, en régulant le marché des meublés touristiques, nous incitons implicitement les propriétaires à participer à cet effort collectif, pour proposer des logements à ces salariés, ce qui va dans le sens de l’intérêt collectif.

Par ailleurs, dans le cadre de l’atelier citoyen, nous avons organisé les assises du logement, dont l’objectif était de recueillir les doléances, les ressentis, les expressions des habitants, et ce afin de nourrir notre politique de logement à venir et de porter les revendications nécessaires à l’obtention des aides ou à l’encadrement, auprès du gouvernement. On y traite de sujets comme la prime rénov ou la désignation de notre territoire comme “engagé pour le logement”… et le préfet a par ailleurs annoncé que nous aillions bénéficier de 5 millions d’euros d’aide en Seine-Maritime ! Ces assises permettent d’établir un diagnostic commun sur la situation du logement sur le territoire, diagnostic qui se doit d’être partagé avec les habitants et avec les différents experts conviés lors de cet événement.

 

 

©Crédit photos : Ville de Dieppe

 

Fiche d'identité de la communeLe projet en chiffresPour aller plus loin
  • Nom : Dieppe
  • Département : Seine-Maritime
  • Région : Normandie
  • Population : 29 965 habitants (2015)
  • Maire : Nicolas Langlois
  • Site internet : Site de la ville
  • Entre 700 et 1000 habitants de Dieppe ne pourraient pas avoir accès à des logements dignes, en raison de cette dérégulation du marché des meublés touristiques
  • Près de 215 logements devraient déjà être remis à la location traditionnelle sur le moyen-terme
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