« Plus de souplesse pour les rythmes scolaires » ?

Réforme des rythmes scolaires :
Benoît Hamon pris au piège de toutes les contradictions ?

 

Face à l’insatisfaction dominante et sous le feu croisé de protestations opposées, Benoît Hamon s’est voulu un homme de convictions et de consensus, sachant conjuguer courage et pragmatisme politique. Avec le décret proposé voici une dizaine de jours, massivement rejeté hier par le Conseil supérieur de l’Éducation, il se retrouve au cœur de toutes les contradictions, y compris les siennes.

 

L’état d’avancement de la réforme Peillon

  • Le décret du 24 janvier 2013 réorganise le temps scolaire autour de 2 principes et d’une possibilité : l’étalement de la semaine de classe (24 heures) sur 9 demi-journées incluant le mercredi matin ; une journée limitée à 5 heures 30 et une demi-journée à 3 heures 30 maximum, les 3 heures de classe du mercredi permettant d’alléger les autres jours de 45 minutes en moyenne. Par dérogation, le samedi matin peut remplacer le travail du mercredi.
  • A la rentrée 2013, 4 000 communes sur les 24 000 possédant une école (soit 17%) ont adopté la semaine de 4,5 jours. Via un fonds d’amorçage, l’État leur verse 50 euros par enfant et par an, 90 euros pour celles en difficulté ; la CAF est aussi mise à contribution. Mais 77 % des communes ont du mal à financer la réforme, dont le coût est estimé, selon les cas et les contenus, entre 150 et 350 euros par enfant. Une difficulté réelle pour les villes populaires, les villes de banlieue et les petites villes du milieu rural.
  • A quatre mois de la rentrée 2014, 94 % des communes ont rendu leur projet d’organisation de la semaine. 6 % ne l’ont pas fait, aux prises avec des difficultés insurmontables ou pour manifester une résistance politique, comme à Marseille.
 

Les propositions du décret « Hamon »

Le président de la République l’a déclaré ce matin même : « Je conviens qu’il y ait eu des difficultés d’applications. J’ai donc demandé à Benoit Hamon des assouplissements. Faisons en sorte que cela se passe bien dans les communes et faisons l’évaluation.» Confirmant ce que le ministre avait lui-même expliqué le 26 avril dernier : « Ce décret ne détricote pas la réforme des rythmes scolaires, mais il permet qu’elle s’applique. » L’intention était donc claire.

Dans les faits, le texte du décret propose :

  • De maintenir 5 matinées de classe hebdomadaires, les villes pouvant toujours choisir entre le mercredi et le samedi matin travaillé.
  • D’autoriser par dérogation (de 3 ans) le regroupement des 3 heures d’activités périscolaires sur une après-midi… ce qui reviendrait à regrouper les enseignements sur 8 demi-journées au lieu de 9, avec trois journées de classe à 6 heures.

 

De façon concrète, cet « assouplissement » entend offrir une solution pratique à deux types de communes :

  • Les communes rurales qui éprouvent les pires difficultés à organiser les activités périscolaires sur plusieurs demi-journées, faute de ressources et de compétences disponibles localement.
  • Les communes « pionnières » comme Epinal, Munster ou Lomme, qui expérimentent depuis longtemps une autre organisation du temps scolaire et périscolaire… et se voyaient injustement pénalisées par la loi Peillon.
 

Pourquoi le nouveau décret mécontente tout le monde ?

Or, le texte qui entendait lever tous les obstacles et faciliter l’application de la réforme voulue par Vincent Peillon cristallise et fédère les oppositions les plus discordantes ; au point qu’il vient d’être rejeté par le Conseil supérieur de l’Éducation (CSE) par 31 voix contre, 3 voix pour, et 27 abstentions. Que se passe-t-il donc pour que le consensus recherché aboutisse finalement à une telle coalition de mécontentements ?

  • Sans surprise, les opposants de toujours (opposants politiques de droite et opposants syndicaux du SNU-ipp) voient d’un mauvais œil la poursuite de la réforme qu’ils avaient, pour des raisons divergentes, âprement combattue.
  • Les tenants de la réforme (comme le SGEN CFDT, la FCPE, mais aussi les chrono-biologistes) craignent que de nombreuses villes ne saisissent à terme la possibilité des dérogations autorisées pour mettre en place une organisation vidant la réforme de tout contenu : avec 3 journées de 6 h, deux matinées de 3 h et 3 h facultatives d’activités périscolaires facultatives le vendredi après-midi… modèle cumulant les deux inconvénients des longues journées et de la longue semaine.
 

Les questions restant posées

De fait, nul ne peut prédire si le nouveau décret permettra à « un bon millier de maires de s’engager dans la réforme », comme on l’escompte rue de Grenelle, ce qui permettrait de parachever presque partout l’application de la réforme et le retour à la semaine de quatre jours et demi… ou s’il autorisera des milliers d’entre eux à décider pour la rentrée 2015 (parce que les délais fixés au 6 juin pour la rentrée prochaine empêchent les revirements à très court terme) d’une organisation tournant résolument le dos aux objectifs de la réforme initiale. Selon le cas, on pourra dire que Benoît Hamon l’aura effectivement facilitée ou enterrée.
Par ailleurs, l’application de la loi dans les établissements catholiques (qui continuent pour le moment de fonctionner sur 4 jours) n’est toujours pas tranchée rue de Grenelle.

Enfin, les principales doléances des maires n’ont toujours pas été entendues par un CSE où ils n’occupent que 6 sièges sur 49 au sein de l’instance permanente. Au-delà du conflit insoluble opposant les tenants du courage aux partisans de l’abandon pur et simple, aucune réponse n’a pour l’instant été donnée à l’Association des maires de France (AMF), qui estime le coût du changement de rythmes entre 900 millions et 1 milliard d’euros.

 

Et les villes de banlieue ?

Pour les villes de banlieue, les problèmes sont aujourd’hui de 2 ordres :

  • D’une part, l’équation financière de nombre de nos communes (et les perspectives qui leur sont annoncées pour les années qui viennent s’agissant des dotations) leur laisse peu de marges pour mettre en œuvre de façon qualitative, intelligente et productive, la réforme Peillon sans une aide substantielle de l’Etat. Et cette situation risque à elle seule de les obliger à renoncer à une réforme jugée majoritairement utile au sein de nos rangs.
  • D’autre part, nos villes risquent fort de se heurter à un double écueil : non seulement celles qui pourront mettre en place le nouveau dispositif risquent en effet de le faire dans de moins bonnes conditions que d’autres, mieux dotées et plus favorisées, alors que les enfants des milieux populaires, plus souvent en échec scolaire, auraient le plus besoin d’un changement d’organisation des temps éducatifs ; mais celles qui devraient y renoncer ou s’orienteraient vers un système à 8 demi-journées pénaliseraient davantage encore leurs élèves en difficulté.

 

Pour faire face à ces difficultés, Benoît Hamon, qui présentera son projet de décret au conseil des ministres de ce mercredi 7 mai, a d’ores et déjà apporté un début de réponse : « Le fonds d’amorçage destiné aux communes en difficulté financière serait prolongé pour l’année scolaire 2015-2016 afin de permettre à toutes les communes de pouvoir s’engager dans la réforme et serait calibré et proportionné aux besoins des villes ».

Dans l’interview donnée au Monde voici 10 jours, Benoît Hamon se présente comme le ministre de la lutte contre les inégalités scolaires : « Ce que je souhaite avant tout, c’est permettre aux enfants de mieux réussir à l’école, et mener une lutte acharnée contre les déterminismes sociaux auxquels s’attachent immuablement les destins scolaires ». Nous ne pouvons que lui donner raison. Et il est vital que la réforme des temps éducatifs, qui peut y contribuer, puisse s’appliquer partout dans les meilleures conditions.

Nous voici donc, comme le ministre et avec lui, face à nos contradictions collectives. Comme le rappelait l’historien Claude Lelièvre, ce qui a été plébiscité il y a 20 ans au moment de la réforme Bayrou, c’est la semaine de 4 jours à 6h30, formule la plus éloignée des préconisations des chrono-biologistes. Et ainsi que nous l’annonce Christian Forestier, ancien recteur et organisateur de la grande concertation Peillon, «chaque fois que l’on choisira de libérer le vendredi après-midi et le samedi matin, on affichera très clairement que le confort des adultes l’a emporté… ».

Le vrai courage consistera donc à choisir sans hésitation l’intérêt psychologique, scolaire et social des enfants, à commencer par les plus fragiles d’entre eux, dans cette réforme des temps éducatifs au sein de la journée et de la semaine scolaire. Sans oublier que l’organisation de l’année scolaire, avec ses petites et grandes vacances, peut aussi offrir des marges intéressantes d’organisation permettant d’étaler et d’alléger les temps d’apprentissage. Ni que d’autres leviers doivent être rapidement saisis pour atteindre à l’objectif résumé par le ministre : la réforme des programmes, la réforme de la formation, du métier d’enseignant et des pédagogies, et celle de l’éducation prioritaire.