États Généraux de la politique de la ville – discours de Philippe Rio, maire de Grigny (91)

Mesdames, Messieurs,

Chers militants de la citoyenneté, acteurs de terrains,

Cher-es élu-e-s municipaux, élu-e-s d’une République de proximité,

Cher-e-s ami-e-s.

Bienvenue à Grigny !

Je tiens à remercier les trois associations, toutes celles et tous ceux qui ont travaillé, notamment les indispensables fonctionnaires territoriaux, pour faire de ce jour un succès. En quatre semaines, plus de 75 villes et territoires, 100 associations se sont mobilisés pour la réussite de cette journée. Il y a sans doute des oublis et des imperfections pour ces premiers états généraux de la politique de la ville. Je vous prie sincèrement de nous en excuser.

Le succès, nous le devons déjà à votre grand nombre et à l’unité profonde d’un nécessaire cri d’alarme et cette volonté de « vouloir faire ensemble ». Et qui sait, si ce point de départ n’est pas le début d’un vaste tour de France pour co-construire une feuille de route entre l’Etat et les territoires.

Ici, ce n’est ni un colloque, ni un séminaire, ni un congrès, mais bel et bien des Etats Généraux, c’est-à-dire un moment fondateur pour surpasser la crise profonde, le malaise de nos territoires urbains en grandes difficultés. Si nous nous retrouvons à Grigny, ce n’est pas peut être pas le fruit du hasard. Cette ville et ses habitants, leurs situations mettent au défi la République.

Il y a dix jours, était commis ici l’irréparable, un double homicide. Il y a un an, de très jeunes garçons partaient en direction d’une caméra de vidéo surveillance à Viry-Chatillon pour brûler des policiers chargés de la surveiller. Il y a deux ans, un homme qui avait grandi ici, glaçait le sang de la France entière en assassinant une policière municipale puis en attaquant un hyper Casher, tuant des personnes parce que juives.

Grigny, c’est l’histoire d’un village de 3 500 habitants dont l’Etat a fait, en l’espace de six ans, une ville de 30 000 habitants afin d’accueillir les travailleurs des 30 glorieuses. Depuis, nous ne cessons de crier un droit à réparation. Aujourd’hui Grigny, c’est moins de 25% d’une classe d’âge au bac. Ce sont des générations et des générations sans diplômes. Ici, 50% des enfants quittent l’école sans aucun diplôme. C’est 45% des gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté alors que la moyenne nationale est de 14%.

Deux enfants sur trois vivent sous le seuil de pauvreté. Le revenu mensuel est de 847 euros par mois. Mais comment fait on ? on survit !

90% de la population vit en zone de sécurité prioritaire. Tous les établissements de la ville sont en éducation prioritaire. Grigny, c’est aussi l’exploitation de la misère dans une copropriété géante de 5 000 logements dont 10% d’entre eux sont livrés à la loi de la main invisible des marchands de sommeil qui entassent et rackettent les plus fragiles cherchant simplement à avoir un toit au-dessus de leur tête.

Cette situation extrême est insupportable parce qu’injuste, pourtant elle se retrouve dans de nombreux quartiers. Partout en France, il y a des Grigny. Des territoires qui souffrent, des territoires qui décrochent inexorablement de la République. Ces fractures sont indignes d’une société riche du XXI siècle.

C’est insupportable d’abord et avant tout pour celles et ceux qui vivent dans ces quartiers et subissent la relégation, l’apartheid social et territorial, les discriminations à l’adresse. C’est insupportable pour tout ceux qui travaillent à changer les choses et qui ont l’impression d’écoper la mer avec une petite cuillère. C’est insupportable car on veut rendre responsables les 5.5 millions d’habitants des quartiers populaires de leur situation.

Et puisque c’est insupportable, il faut un sursaut ! Une réponse nationale à la hauteur du péril. Pour que nos territoires ne glissent dans l’abîme. Ici à Grigny, nous avons commencé à construire une méthode avec l’Etat. Il y a deux ans, nous nous sommes proposés de devenir un laboratoire, de faire de la jeunesse et de l’enfance la grande cause nationale et de mettre fin à la stérilité des politiques publiques qui changent tous les quatre matins.

Il y a 10 jours, aux 40 ans de la politique de la ville, le ministre des territoires, Monsieur Mezard a salué ce travail entrepris localement. Il s’agit de partir du réel, sans faire de concession, pour trouver des solutions concrètes et concertées entre habitants, élus et l’Etat. Bien entendu, tout le monde ne joue pas encore le jeu. Mais là où le défi est relevé, la mobilisation et la concertation des acteurs de terrains ouvrent des perspectives. C’est le cas sur l’école qui est avec la sécurité un pilier de la reconquête républicaine. Notre Grand Projet Éducatif est une mobilisation sans pareil de l’Education Nationale qui reconnaît avoir ici 40 années de retard…

Vous l’aurez compris, l’heure est grave. Nos territoires décrochent, les 5.5 millions d’habitants des quartiers populaires souffrent. Faut il rappeler que 40% des gens vivent là sous le seuil de pauvreté. Il n’y a ni fatalité, ni résignation mais de l’espoir, de l’intelligence collective, de l’action et des solutions. Pas de générosité, mais de la justice sociale pour en finir avec les humiliations et cesser d’être les boucs émissaires faciles de cette société. Mesdames, Messieurs, notre silence sera toujours pire que nos coups de gueule. A ne rien dire, nous serons complices, oui complices de non-assistance à personnes en danger !

Nous allons lancer toute la journée un appel aux forces vives de la Nation, l’Etat, les collectivités locales, les entreprises, les partenaires sociaux, les associations bien sûr et l’Europe. C’est l’appel de Grigny !

Nous demandons le droit à une République pour tous, à une République inclusive, solidaire qui garantit à chacun la paix et la dignité. Nous voulons simplement la République, rien que la République, juste la République, toute la République !

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