Radicalisation : « les conseils régionaux peuvent aider à structurer des réseaux d’alerte »

Un conseil régional dispose-t-il de marges de manœuvre pour participer à la lutte anti-terroriste ? Affirmatif, répond l’Ile-de-France, dont le vice-président en charge des sports, de la jeunesse et de la vie associative a fait voter début juillet une délibération poussant ses partenaires à mieux prévenir la radicalisation islamiste et faire la promotion des valeurs républicaines. Patrick Karam, par ailleurs ancien inspecteur général de la jeunesse et des sports, nous présente ce plan d’actions régional innovant.

Chiffres-clés
Agenda
24 novembre 2016 – Paris

États généraux de la sécurité locale :
Gouvernance, risque terroriste, radicalisation…
quels rôles et bonnes pratiques pour les collectivités ?
Programme et inscription

Le Plan d’actions de lutte contre la radicalisation et le terrorisme présenté au printemps 2016 par le gouvernement prévoit la mobilisation des collectivités locales et des conseils départementaux. Pourquoi le conseil régional d’Ile-de-France souhaite-t-il s’engager, lui aussi, dans cette politique ?
Le nombre d’individus radicalisés ne cesse de se multiplier, aujourd’hui, en France. Le phénomène touche désormais tous les profils sociaux, les jeunes mais aussi de plus en plus les femmes. Tout cela fragilise notre pacte républicain, déjà menacé par la multiplication des incivilités, des violences physiques, des propos xénophobes et des injures ou actes à caractère raciste. C’est pourquoi nous sommes convaincus que la responsabilité de lutter activement contre la radicalisation islamiste ne revient pas seulement à l’Etat, mais bien à l’ensemble des acteurs publics.
La région Ile-de-France souhaite briser l’isolement des parents, des associations ou des clubs sportifs en matière de prévention de la radicalisation. Il faut aider tous ces acteurs esseulés à structurer des réseaux d’alerte. D’autant plus qu’une fois que le mal est fait, que le basculement dans le fondamentalisme s’est opéré, il est bien souvent trop tard : la déradicalisation est extrêmement complexe à mettre en œuvre.

Votre initiative répond-elle à des problèmes rencontrés par les réseaux associatifs et les ligues sportives d’Ile-de-France ?
Naturellement ! Et d’ailleurs, il n’y a rien de surprenant à ce que l’un de leurs licenciés ou de leurs adhérents puisse être en voie de radicalisation à l’heure où la société entière est gangrenée par ce problème. Néanmoins, certains clubs et associations totalement désarmés préfèrent malheureusement détourner le regard. Trop souvent, les réseaux, les ligues et les fédérations conscientes du phénomène se réfugient dans l’omerta, de peur d’être stigmatisés et de ternir leur image.
Même chose pour les parents. Le numéro vert mis en place par l’Etat pour signaler un cas en dernier recours semble globalement fonctionner, sauf pour certaines familles populaires, issues de la diversité, qui ont parfois l’impression de trahir un de leurs proches en le signalant. Sans compter toute la période où les parents ne parviennent pas à mettre de mots sur l’évolution de leur enfant, ce changement de comportement amorcé par le basculement vers une idéologie radicale…
Ne leur faisons pas la guerre, mais accompagnons-les en créant le chaînon manquant entre les réalités de terrain et les dispositifs régaliens actuellement en vigueur !

Concrètement, comment comptez-vous les aider ?
Une nouvelle mission sera assignée aux ligues sportives dans les conventions que signe avec elles le conseil régional. Elles devront former des référents, qui auront en charge la sensibilisation des responsables des différentes structures locales au phénomène de radicalisation islamiste. L’idée est que ces derniers soient capables de repérer d’éventuelles dérives dans leurs clubs émanant d’employés ou d’usagers, puis de nouer le contact autour de ce sujet complexe.
En ce qui concerne le mouvement associatif et notamment l’éducation populaire, le conseil régional financera lui-même la formation de ces accompagnants. Dans tous les cas, ces référents devront ensuite prendre contact avec des associations de prévention de la radicalisation pour confirmer chaque alerte reçue à travers une grille d’indicateurs, puis mettre en place des méthodes éducatives.

Vous avez également des ambitions en termes de «promotion des valeurs de la République»…
En effet, notre ambition va au-delà de la mise en place de ce réseau d’alerte servant strictement à prévenir la radicalisation islamiste. Toujours lors du renouvellement des conventions, les cadres associatifs et sportifs – qui ont une forte responsabilité éducative, selon nous, face à toutes ces dérives – devront adhérer à la « charte de la laïcité » que la région va mettre en place à l’automne 2016. Sous peine de se voir refuser les subventions de la région.
A lire aussi : « Le mouvement d’éducation par le sport est un vrai terrain d’insertion des jeunes » – APELS

Nous demandons par ailleurs à toutes les têtes de réseaux associatifs et sportifs de s’inscrire à la formation « Laïcité et Valeurs de la République » qu’est en train de déployer l’Etat. Nos dispositifs sont complémentaires, ils doivent être coordonnés avec ce qui est mis en place par le gouvernement. Et si les réponses proposées par le conseil régional d’Ile-de-France fonctionnent et inspirent d’autres vice-présidents, l’Etat pourra ensuite transposer notre initiative au niveau national.

Comment faire accepter ces dispositifs aux ligues et aux réseaux associatifs ?
Depuis janvier 2016 soit plus de six mois avant le vote de cette délibération, j’ai multiplié les réunions avec l’ensemble de nos partenaires, individuellement et aussi collectivement. La plupart sont demandeurs, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un dispositif de répression mais bien d’une aide à l’identification, à la prévention et à l’éducation.
Ils savent que nous avons eu confirmation d’un certain nombre de provocations et d’atteintes – avec parfois des éducateurs sportifs prosélytes qui obligeaient les jeunes licenciés à prier ou leur imposaient des comportements déviants. Mais ils savent aussi qu’ils peuvent nous faire confiance pour ne pas les stigmatiser. Nous travaillons main dans la main.

A partir de quand escomptez-vous que ce réseau d’alerte soit en place ?
Dans les jours à venir, une réunion sera organisée pour choisir l’organisme de formation en charge de mettre à niveau les cadres de l’éducation populaire. Nous nommerons également les référents du mouvement sportif, ligue par ligue et fédération par fédération.
Tout est fait pour que ce vœu incitatif du conseil régional trouve une traduction sur le terrain. Le réseau d’alerte devrait être pleinement opérationnel avant la fin de l’année en ce qui concerne le mouvement sportif. Pour ce qui est de l’éducation populaire, il faudra attendre la signature des prochaines conventions mais le dispositif devrait être réellement en place avant dans les premiers mois de l’année 2017.

Par Hugo Soutra

Références :
Rapport du conseil régional d’Ile-de-France sur l’engagement des grands réseaux associatifs et sportifs dans la défense de la laïcité, des valeurs de la République et dans la prévention de la radicalisation

(adopté à 148 voix « Pour » et 31 abstentions le 8 juillet 2016)

Article vu sur :
– La gazette des communes du 1er/09/2016

 

 

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