L’Île-Saint-Denis nous présente sa restauration scolaire du bon goût, du 100% bio et de la solidarité

Photographie des entrées et desserts proposés selon la petite ou grande faim des enfants, avec un message de sensibilisation affiché

À L’Île-Saint-Denis, les enfants sortent de leur zone de confort et découvrent de nouvelles saveurs. La “cuisine communale du bon goût” vise prochainement un passage au 100% bio, qui se fera dans le respect des produits et sans le concours des grands groupes industriels.

Pourquoi ?

Manger bio, sain et équilibré est un objectif souhaitable pour tous mais malheureusement difficile à atteindre. La municipalité de L’Île-Saint-Denis a souhaité rétablir l’égalité des chances en termes d’accessibilité alimentaire, tout en œuvrant pour la santé de ses habitants et celle de l’environnement. Les objectifs : éviter de servir du prêt à consommer aux enfants, les réhabituer à des pratiques plus saines d’alimentation, tout en allégeant le fardeau financier des parents et en réduisant l’impact environnemental.

Comment ?

Les produits utilisés par les cuisines municipales sont dans leur quasi-totalité bruts, bio, et d’origine locale. Les équipes municipales de la ville se sont rendues compte qu’elles disposaient de nombreuses ressources pour servir autre chose que des produits industriels et prêts à l’emploi, sans pour autant augmenter drastiquement les coûts.

Les employés mobilisés travaillent avec les marchés ainsi que la coopérative bio d’Île-de-France, afin de réfléchir à l’amélioration continue des modalités d’approvisionnement. Pour autonomiser la production alimentaire de la cuisine, le fait-maison est valorisé, et les cuisiniers ont reçu des formations sur le travail des produits, mais aussi sur la diversification des sources de protéines, dans le but de proposer plusieurs menus végétariens par semaine.

La ville a aussi souhaité indexer les tarifs de ses menus sur le niveau de revenu des parents d’élèves. Enfin, Lil’Ô, une ancienne friche réhabilitée en centre écoactif, assure le recyclage des déchets alimentaires de la cantine. Ainsi, du producteur sur les marchés jusqu’à ce recyclage, un cycle très court permet de nourrir sainement et justement les élèves.

Quel bilan ? 

Sur les 100% de repas bio prévus d’ici la fin du mandat (2026), près de 90% sont déjà honorés. La cuisine centrale n’a fait qu’augmenter cette proportion au cours des dernières années. Deux menus végétariens par semaine sont par ailleurs proposés aux enfants et seniors concernés. Tout est désormais fait maison, à partir de produits bruts. 

Le travail du produit brut et local prime donc, car l’objectif n’est pas de servir les intérêts des entreprises agro-alimentaires industrielles, ou de servir du prêt à consommer aux enfants. Par-delà la dimension écologique et sanitaire de cette décision, le projet a aussi permis d’éduquer les palais des élèves, et de les habituer à de nouvelles saveurs et à des pratiques saines de consommation. 

Le projet en photos

 

 

L’interview de M. Mohamed Gnabaly, maire de l’Île-Saint-Denis, M.Hermann Mamadou, directeur de la cuisine centrale, et Mme Marie-Annick Diop, conseillère déléguée à la restauration scolaire

 

Photographie des entrées et desserts proposés selon la petite ou grande faim des enfants, avec un message de sensibilisation affiché

Quel était le contexte de l’initiative de restauration scolaire bio et solidaire à l’Île-Saint-Denis, comment a-t-elle pu prendre forme ?

Mme Diop : Originellement, il y a eu plusieurs décisions politiques fortes sur les deux dernières décennies, à commencer par celle de conserver les liaisons chaudes en 2001. Malgré des demandes divergentes, la ville a fait le choix de l’auto-gestion pour sa restauration scolaire, et a réalisé beaucoup d’investissements jusqu’en 2008, année qui marque l’introduction du bio dans les menus. Personnellement, j’ai rejoint l’équipe en 2020, avec de nouveaux objectifs de production, mais aussi de promotion de l’écologie dans cette restauration.

M. Gnabaly : Ces décisions entrent en effet dans le cadre d’une politique de restauration scolaire très volontariste à L’Île-Saint-Denis, depuis toujours. Mon prédécesseur avait déjà dû trancher quant à la privatisation de la restauration, ce qui est devenu monnaie courante dans nombre de municipalités, et décision à laquelle il s’était pourtant refusé. Pour nous, c’était la dernière chose à faire dans une petite ville comme la nôtre : la restauration scolaire est publique, par définition, et doit le rester, le seul objectif pensable étant de permettre au plus grand nombre de manger sainement à des prix accessibles.

Quand j’ai été élu maire, je dirigeais déjà Novaedia, une entreprise d’insertion qui a érigé la Ferme des Possibles, et qui m’a aidé à mobiliser des ressources de l’économie sociale et solidaire pour assister la restauration collective de la ville. L’une de mes premières mesures a ainsi été la mise en place de deux repas végétarien par semaine pour tous. Je ne vous cache pas que je m’attendais à un certain nombre de débats, mais cette décision a été finalement très bien comprise, grâce à de nombreux échanges entre les parents d’élèves et nos équipes. Mon ambition du 100% bio provient de combats que je menais déjà dans ma vie professionnelle et militante au quotidien, et d’un principe essentiel : la santé des individus doit passer avant tout le reste. J’ai ainsi souhaité transformer la politique de restauration scolaire en politique de solidarité.

Certains auraient voulu la gratuité des repas pour tous, mais elle n’a rien d’équitable d’après moi, puisque ce seraient les impôts de tous qui financeraient une telle gratuité. Chez nous, les tarifs sont adaptés à la situation de chacun, sans excéder 50% du coût de fabrication des repas. Les familles les plus précaires payent ainsi moins de 1€ par repas, et celles qui s’en sortent le mieux doivent débourser 6€ par repas.

Mme Diop : Nous avons même mis en place, depuis janvier 2023, plusieurs types de forfaits (forfait 1 jour, 2 jours, 3 jours et 4 jours), afin de répondre aux besoins des familles. Pour le forfait 4 jours, par exemple, le tarif de la restauration scolaire est de 10 € pour la première tranche, et 80€ par mois pour la dernière.

M. Mamadou : De mon côté, lorsque j’ai pris mes fonctions il y a trois mois, la cantine proposait déjà  une majorité d’aliments bio. Ce type de projets existe aussi dans certains établissements, mais il est rare de voir une telle initiative portée par une municipalité. Dans ce contexte favorable, j’ai souhaité consacrer le fait-maison et la production locale, en complément de la réussite avérée des repas bio et végétariens. C’était essentiel à mes yeux, dans la mesure où je fais une distinction entre “tout le bio” et le “bon bio” : on pourrait tout aussi bien cuisiner bio avec des produits industriels, prêts à l’emploi, ce qui n’est pas la même chose. Si le Maire s’est battu pour avoir une cuisine municipale autonome et écologique comme celle-ci, ça n’est pas pour faire appel aux mêmes groupes qui produisent les aliments que l’on refuse d’acheter. Nous avons beaucoup de ressources et une main d’œuvre qualifiée, ce qui nous permet d’honorer quotidiennement le fait-maison et les produits locaux.

Mme Diop : Le nerf de la guerre, à présent, c’est l’approvisionnement : nous sommes en train d’élaborer un cahier des charges qui nous permettra d’avancer, des suites de notre prise de contact avec le GAB (Groupement des Agriculteurs Bio d’Île de France). Nous aimerions prochainement adhérer à la coopérative, laquelle mutualise l’offre des agriculteurs bio. Nous aurions bien sûr préféré acheter directement auprès d’eux, mais cela représenterait de lourdes contraintes logistiques, d’autant plus que ces producteurs n’ont pas le temps de répondre à tous les démarchages. Le GAB devrait nous aider à pallier ces contraintes pour avancer dans notre quête d’aliments produits localement, et entend également nous aider à continuer de former nos équipes, un autre pan essentiel à la mise en place d’une restauration faite maison.

 

Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette formation ?

M. Mamadou : Les préparations de nos repas relèvent désormais de savoir-faire assez spécifiques, d’autant plus que nos cuisiniers sont originellement issus d’une formation plutôt classique, et que l’alimentation végétarienne et bio n’est pas si répandue que ça. Il s’agit d’apprendre à marier les saveurs différemment, d’associer les bons produits entre eux… 

Le principal obstacle était peut-être, initialement, la peur du changement, de l’inconnu, car ces produits sont plus difficiles à travailler. J’avais moi-même assez de recul pour faire un peu de pédagogie, ayant déjà travaillé dans ce type de cuisine auparavant, ce qui a pu aider à l’acceptation du changement de routine des cuisiniers. J’ai aussi eu la chance d’avoir déjà, dans notre brigade, deux cuisiniers issus de formations un peu plus traditionnelles. Ravis de travailler de si bons produits, ils ont largement contribué à motiver le reste des troupes, malgré les premières réticences. 

Mme Diop : Pour être honnête, lorsque nous avons initié les menus végétariens, nous avons remarqué une augmentation du gaspillage alimentaire sur le coup. Les enfants n’étaient pas habitués, et les cuisiniers non plus. Nous avons donc proposé une formation spécifique pour que les cuisiniers apprennent à travailler ces produits végétariens et.ou bio, formation notamment dispensée par le collectif Les Pieds dans le Plat, qui leur a transmis tout un tas de techniques de préparation adaptées. Les équipes ont appris à améliorer le goût des plats, à associer les bonnes saveurs, à proposer de nouvelles recettes…

M. Mamadou : Un travail de longue haleine, en somme, mais qui fonctionne : petit à petit, l’oiseau fait son nid, et même les enfants apprécient. On sent une véritable différence dans les assiettes. Par exemple, nous avons pu déguster des pizzas faites maisons ce matin, une première pour le cuisinier qui a pris tout autant de plaisir que nous. Le résultat n’avait rien à voir avec les pizzas industrielles, et montre que les cuisiniers ont réussi à s’approprier le projet.

Ainsi, ce volet fait-maison, qui avait été peu exploré auparavant, est devenu un succès, vecteur d’autonomie de notre restauration. Le fait de travailler et valoriser la cuisine de produits bruts permet de véritablement remettre du goût dans l’assiette, par opposition au lissage du goût des produits industriels. Chez nous, le goût peut varier d’un jour à l’autre, ce qui fait aussi la magie de la cuisine. Nous découvrons tous, avec les enfants, de nouveaux aliments mais aussi de nouvelles façons de les consommer. Il demeure tout de même certains remparts à l’adhésion des consommateurs : par exemple, lorsqu’on mange une pomme bio, on peut s’attendre à y trouver un insecte de temps à autre. L’aspect peut être rebutant au départ, aussi. Or, nous entendons bientôt recourir systématiquement aux invendus des productions légumières, par exemple. Tout ce qui n’est pas accepté par les circuits classiques, nous souhaitons nous en servir.

 

C’est donc aussi un projet éminemment écologique…

Mme Diop : Oui, la dimension écologique de cette initiative est capitale pour nous. D’ailleurs, il faut savoir que l’intégralité de nos déchets alimentaires est transformée au niveau de Lil’Ô, afin de limiter le gaspillage alimentaire, à hauteur de 12 tonnes par an !

M. Gnabaly : Il était important pour moi que nous adossions notre projet de restauration collective à celui de récupération des déchets à Lil’Ô, qui existait déjà depuis 2018. Lil’Ô comporte d’ailleurs une ferme horticole qui utilise ces déchets dans le cadre de sa production. Pour chaque mariage que j’officie, nous leur rachetons un bouquet de fleurs que nous offrons aux mariés ! 

Mme Diop : Mais ça n’est pas tout : nous avons aussi œuvré pour supprimer la vaisselle jetable, petit à petit, et utilisons des sacs papiers réutilisables pour le portage des repas à domicile – une trentaine par jour. Nous achetons aussi désormais nos yaourts en gros, que l’on sert dans des ramequins.

Agir sur le gaspillage, c’est aussi faire en sorte que les enfants laissent le moins de restes possibles. Cet objectif est plutôt délicat, surtout lorsqu’on change les menus et qu’ils doivent se réhabituer à de nouvelles saveurs. Il faut leur faire goûter et leur expliquer ce fonctionnement. Déjà, nous tenons à servir des proportions adaptées aux appétits des élèves grâce à la mise en place des récipients “petite faim” ou “grande faim” pour les entrées et desserts. Cela les pousse aussi à être à l’écoute de leurs corps. 

Nous entendons enfin organiser bientôt des campagnes de pesée, avec le soutien du PAT (projet alimentaire de territoire) de Seine Saint Denis. Nous y pèserons les restes alimentaires, favorisant un pas de plus dans la prise de conscience des enfants sur ces thématiques. Nous avons déjà fait intervenir d’autres associations comme PikPik Environnement, et comptons faire participer d’autres animateurs et acteurs de la restauration scolaire. Le but est d’accompagner les enfants dans l’évolution de leurs pratiques de consommation, de les sensibiliser davantage à la santé et à l’environnement.

Et quels sont vos objectifs pour la suite, les prochaines étapes ?

M. Gnabaly : Ces dialogues sont importants car de nos jours, l’écologie prend de plus en plus de place, mais elle est souvent perçue comme austère. Or, on peut faire du durable et du solidaire tout en portant de la joie. L’écologie n’est pas forcément excluante, mais pour qu’elle soit comprise, il faut que nous soyons porteurs de solutions et d’outils concrets pour œuvrer à la protection de la planète. Lorsque l’on agit véritablement pour la santé des personnes, on agit aussi pour celle de la planète. 

En parallèle, j’ai aussi fait changer la flotte d’automobiles de nos services publics (de 40 à 22 véhicules, dont les deux-tiers sont électriques), mis en place l’autopartage, et transformé la ville en Zone à Faible Émission, où tout le monde roule à 30km/h. Notre ville devient donc un beau laboratoire de la transition écologique populaire sur tous les sujets, en ayant constamment en tête la réalité de la pauvreté sur le territoire, et donc l’accessibilité de nos diverses mesures. Je pense que la population me considère, certes, comme un maire écologiste, mais pas comme un idéologue. Pour moi, l’écologie est une question d’équilibre et certainement pas de moralisme, il faut sortir des visions individualistes. Je pense que c’est ce que nous faisons aussi avec ce projet de restauration scolaire écologique, saine et accessible.  

Dans ce même contexte, nous poserons bientôt la dernière brique de ce projet, à savoir la naissance d’une épicerie bio solidaire, qui sera le nouveau tiers-lieu alimentaire de la ville. Là aussi, la tarification se fera sur conditions de revenus. La Ville a racheté le fonds de commerce d’un Franprix, et la supérette sera portée par une régie de quartier que nous sommes en train de constituer. 

 

©Crédit photos : Ville de l’Île Saint Denis

 

Fiche d'identité de la communeLe projet en chiffresPour aller plus loin
  • Nom : L’Île-Saint-Denis
  • Département : Seine-Saint-Denis
  • Région : Île de France
  • Population : 8 646 habitants (2020)
  • Maire : Mohamed Gnabaly
  • Site internet : Site de la ville
  • 2 menus végétariens proposés par semaine
  • Un objectif de 100% bio dans les assiettes, déjà 90% à ce jour
  • En 2021, passage de 5 à 4 composantes par repas, car la capacité d’ingestion moyenne d’un enfant n’est de 300 grammes par repas.
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