Le manifeste tripartite

Dans un contexte de refonte de la politique de la ville – géographie prioritaire et contrats urbains de cohésion sociale – et en cette année du dixième anniversaire de la loi SRU, l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), l’Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) et l’Association des maires ville et banlieue de France (AMVBF) ont engagé une réflexion commune autour des solidarités territoriales et urbaines.

Nous souhaitons proposer, sur la base de nos expériences et réflexions locales, un manifeste pour une réforme efficace et fédératrice de la politique de la ville autour de huit orientations stratégiques.

Pourquoi nous sommes attachés à la politique de la ville. Elle a enrayé la dégradation des quartiers dans un contexte économique et social de plus en plus tendu. Situation qui, selon le dernier rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), se stabilise ou s’améliore légèrement, même si certains écarts continuent de se creuser avec le reste des agglomérations. Avant les autres, la politique de la ville a su s’adapter aux différences du tissu local, notamment en Ile- de-France, et innover : diagnostics partagés, expertises pluridisciplinaires, transversalité, évaluation, contractualisation et concertation font désormais partie intégrante de l’action publique.

Pourquoi elle n’a pas donné tous les effets attendus. Parce qu’elle a été chargée de répondre seule à des problèmes localisés dans nos agglomérations mais d’origine et de portée mondiales : désindustrialisation et délocalisations économiques, pérennisation d’un haut niveau de chômage, migrations démographiques. Et cela avec des moyens et des dispositifs inadaptés à ces mutations.

Pourquoi le moment est venu d’une réforme ambitieuse. La crise financière a réhabilité l’intervention politique dans l’économie tandis que le secteur public et la protection sociale sont apparus comme des facteurs de robustesse. Par ailleurs, les exigences du développement durable donnent à la politique de la ville une nouvelle légitimité. Enfin, alors que la première génération de CUCS arrive à échéance, les collectivités se trouvent confrontées à la révision générale des politiques publiques, à la réforme territoriale et à celle des finances locales avec la suppression de la taxe professionnelle et un nouveau système annoncé de péréquation (DSU notamment).

La réforme de la politique de la ville doit, selon nous, intégrer les principes suivants :

• le partenariat de tous les acteurs impliqués dans la politique de la ville – Etat, communes, EPCI, départements, régions, bailleurs sociaux, associations -, car la concentration des difficultés implique celle des moyens d’actions, en particulier en Ile-de-France où la carte intercommunale reste à compléter.

• l’engagement solidaire de l’Etat aux côtés des pouvoirs locaux, qui doit mobiliser toutes ses politiques de droit commun, pour faire de la politique de la ville un levier démultiplicateur,

• la lisibilité, la stabilité des règles contractuelles, procédures et moyens, la fragilité des situations locales exigeant un cadre d’action consolidé et une claire répartition des rôles,

• la garantie de ressources aux collectivités les plus pauvres, selon l’objectif de péréquation financière affirmé par la Constitution,

• la poursuite de la rénovation urbaine et de son financement, avec programmation d’un « ANRU 2 » dès 2012,

• l’intégration de la politique de la ville au cœur des projets de développement durable des communes et intercommunalités, qui articule un renouvellement urbain à haute valeur ajoutée environnementale avec une stratégie de cohésion sociale multisectorielle : formation, insertion, emploi, économie solidaire et développement, logement, mobilité, éducation, santé, prévention, action culturelle, etc.

Nous invitons le gouvernement à prendre en compte ces propositions et à associer étroitement les élus locaux à la refondation de la politique de la ville.

1. Gouvernance, pilotage et rôle de l’Etat

Nous souhaitons une gouvernance qui :

• réaffirme le rôle indispensable de l’Etat en tant que garant de la solidarité nationale, rôle qui trouve toute son expression dans les territoires,

• consacre le couple commune – EPCI comme chef de file de la politique de la ville et principal interlocuteur de l’Etat,

• fasse une place centrale à une contractualisation claire et équilibrée,

• laisse une place importante au partenariat entre les différents niveaux de collectivités locales concernés,

• place le pilotage politique et technique au plus haut niveau afin de garantir la transversalité de cette politique de développement intersectorielle.

Pour ce faire, L’Etat doit faire évoluer des méthodes souvent « injonctives » (appels à projets, objectifs, etc.), pour promouvoir une contractualisation :

• fondée sur la durée,

• basée sur une réelle égalité des contractants et un respect des engagements de chacun,

• organisée sur une évaluation partagée, des objectifs explicites et un pilotage précis,

• intégrant des objectifs de territorialisation des moyens de droit commun.

Nous demandons également de la part de l’Etat une plus grande stabilité dans les règles de financement des actions ainsi que dans son organisation territoriale.

Nous souhaitons promouvoir une gouvernance locale fondée sur un co-pilotage entre l’EPCI et la commune, selon des modalités pouvant varier en fonction des territoires et tenant compte des spécificités franciliennes. Ce pilotage doit se fonder sur une vision partagée et cohérente du territoire à partir d’un diagnostic commun et conjuguant observation, stratégie, financement, suivi et évaluation.

2. Réformer les zonages et la géographie prioritaire

Si des réformes s’imposent, renoncer au principe de « territoires prioritaires », fût-ce au bénéfice de « publics prioritaires », serait, à notre sens, renoncer à la politique de la ville.

Dès lors, comment identifier et classer les territoires de la politique de la ville ? Quel resserrement géographique et quelle concentration des moyens jugeons-nous nécessaires ?

Nous proposons :

• de combiner l’approche nationale et l’approche locale pour la définition de ces « territoires prioritaires »,

• d’asseoir ce classement sur un « indice multicritères objectif », prenant en compte a minima le revenu des ménages, le taux de chômage global, le taux de logements sociaux – hors PLS et en prenant en compte les copropriétés dégradées, le poids démographique des jeunes et celui des jeunes en rupture ou en échec scolaire,

• de cibler les secteurs les plus en difficulté des agglomérations comme « périmètres d’intervention », en veillant à la situation de leurs marges, sans exclure mécaniquement les zones de taille réduite et en évitant les sorties précipitées des zonages

• que « le périmètre d’intervention prioritaire » soit articulé avec « l’engagement solidaire » de toutes les communes de l’agglomération : pour la construction de logements sociaux, le relogement des populations concernées par le renouvellement urbain, la mutualisation d’équipements et de services.

• de simplifier les zonages (ZUS, ZRU, ZFU, ZEP et secteurs ANRU) et de procéder à l’évaluation de leur «efficacité redistributive » globale, avant d’envisager leur suppression éventuelle.

3. Renforcer les moyens financiers et humains au service de la politique de la ville

Il importe, dans un impératif d’efficacité, de conjuguer davantage les moyens de la solidarité nationale avec ceux des collectivités (redistribution, prise de compétence, investissements directs ou équipements). En outre, le souci de justice implique de prendre également en compte la capacité financière globale des collectivités concernées : revenu des habitants, richesse fiscale de la collectivité, et sur-charges de solidarité qu’implique l’accueil de populations en difficulté.

Le grand chantier de réformes actuel doit fournir l’occasion de remédier aux inégalités financières entre collectivités. Ainsi, si les intercommunalités ont un rôle à jouer dans ce domaine, l’Etat doit assumer le sien et se donner les moyens d’une politique de la ville ambitieuse pour les territoires les plus en difficulté. Nous proposons :

• d’inscrire dans la Loi de finances un objectif annuel quantifié de correction des inégalités financières entre les collectivités,

• de conserver dans la politique de la ville un indicateur du degré de difficulté relatif des territoires,

• de concentrer sur les communes et intercommunalités les plus pauvres l’augmentation de la DSU et de prioriser ainsi l’ensemble des crédits d’Etat : crédits spécifiques « Ville », exonérations et moyens de droit commun,

• d’inciter à l’amplification de la solidarité horizontale : par l’intégration des communes pauvres à des intercommunalités puissantes et solidaires et l’optimisation de la dotation de solidarité communautaire,

• de promouvoir des projets de territoires solidaires à toutes les échelles de collectivités.

Il s’agit également de développer une ingénierie spécifique performante, en mesure d’articuler territoires et politiques publiques dans une démarche de développement local équilibré et solidaire.

Ceci suppose notamment :

• un renforcement des moyens de l’Etat (ministères, ANRU, Acsé, ANAH, etc.) destinés à soutenir le développement d’une ingénierie territoriale performante, notamment dans le cadre des centres de ressources,

• le maintien de marges de manœuvre financières, dans le contexte actuel de réforme de la fiscalité locale, permettant de soutenir les charges de fonctionnement induites sur le long terme,

• un fort investissement dans la formation, tant professionnelle qu’initiale, afin de renforcer la professionnalisation des équipes. Il s’agit notamment de repenser les échelles territoriales, en privilégiant les échanges de bonne pratique entre structures de tailles et de problématiques comparables.

4. Territorialiser les politiques publiques et mobiliser fortement le droit commun

Sur les sites en CUCS de priorité 1, là où les difficultés sociales et urbaines sont les plus aigües, c’est la politique de la ville qui supplée les carences des politiques de droit commun: ainsi en matière de sécurité publique ou de mobilités, où l’urgence des besoins est reconnue de tous.

Par ailleurs, les politiques publiques de l’Etat sont souvent définies à des échelles correspondant plus à l’organisation administrative de l’Etat déconcentré qu’à la réalité des situations locales : ainsi en matière d’emploi, de santé, de jeunesse et de justice.

Là où l’Etat s’est engagé dans une territorialisation de ses dispositifs, les moyens discriminants affectés ne sont pas à la hauteur : le « bonus ZEP », par exemple, n’offre pas à la réussite éducative d’avantages significatifs.

Nous proposons :

• d’inciter l’Etat, les régions et les départements à replacer la politique de la ville au cœur de leurs stratégies d’aménagement du territoire, à territorialiser leurs politiques publiques et à flécher leurs interventions vers les territoires prioritaires y compris les projets du Grand Paris et de Paris métropole.

• de demander à l’ONZUS et aux observatoires locaux de la politique de la ville de fournir les bases de données nécessaires à cette réorientation,

• de mobiliser les moyens de l’Etat déconcentré dans tous les domaines identifiés par la loi Borloo de 2003 (emploi, habitat, santé, éducation, culture, sécurité, service public) sur les quartiers de la politique de la ville, proportionnellement à leurs degrés de difficulté,

• d’affecter en priorité dans ces quartiers les établissements publics ou administrations délocalisés, ainsi que les implantations d’équipements à moyen ou fort rayonnement.

5. Développement économique, emploi et insertion

Alors que le récent rapport 2009 de l’ONZUS a montré que le chômage impactait fortement les quartiers prioritaires inscrits en politique de la ville et leurs habitants, notamment les plus jeunes d’entre eux, déjà particulièrement exposés avant la crise, les prochains contrats devront insister davantage que les CUCS de première génération sur les enjeux liés à la formation, l’emploi, l’insertion professionnelle et la lutte contre les discriminations.

Nous souhaitons à ce titre :

• développer et renforcer les actions menées par les Maisons de l’emploi, en lien avec les services de Pôle emploi,

• encourager la signature des chartes d’insertion, dans les programmes ANRU mais aussi dans les chantiers liés au développement des Transports en commun en site propre (TCSP), dans le cadre du Grenelle de l’environnement,

• inviter les conseils régionaux, au titre de leurs compétences dédiées, à s’engager davantage dans les dispositifs existants de la politique de la ville en matière de formation, d’emploi et de développement économique. Il est en ce sens opportun que les régions, comme les départements, soient signataires des contractualisations à venir.

6. Articuler politique de la ville et développement durable

La politique de la ville, ne serait-ce que par ses objectifs et son mode de fonctionnement – transversalité, amélioration continue, évaluation, etc. – fait partie intégrante du développement durable. Les quartiers populaires des agglomérations, notamment ceux en rénovation urbaine, où se cumulent ségrégations sociales et inégalités environnementales, sont les premiers concernés par la haute performance énergétique, la haute qualité environnementale du bâti et des espaces publics, les alternatives aux déplacements automobiles, le retour de la nature en ville, le développement des éco-filières économiques et les initiatives de l’économie solidaire…

Nous proposons :

• d’asseoir les futurs contrats sur des projets de développement intégré et durable des territoires prioritaires qui s’attaquent simultanément aux inégalités économiques, sociales et environnementales,

• de favoriser les actions de développement durable ayant un impact positif sur les familles socialement les plus précaires (chauffage, transports, consommation eau et électricité),

• de renforcer les compétences correspondant à ces enjeux auprès des équipes d’ingénierie,

• de localiser la moitié des expériences innovantes de quartiers durables, d’éco-cités ou d’éco-quartiers dans les secteurs en politique de la ville.

7. Définir et lancer rapidement un programme ANRU 2

Nombreux sont les acteurs de la politique de la ville et des politiques de solidarités qui reconnaissent aujourd’hui les vertus des programmes lancés par l’ANRU depuis 2004, même si des retards demeurent et si les délais de financement restent encore trop longs. Dans cette continuité, nous souhaitons :

• la mise en œuvre d’un programme ANRU 2 pour l’après 2011, alors que les besoins restent importants et que l’impatience des populations se fait ressentir,

• la sécurisation des crédits dédiés aux programmes de rénovation urbaine, sachant que les seuls crédits du 1% logement ne suffiront pas à aller au-delà de 2011, sauf à ce que l’Etat débloque des crédits supplémentaires,

• une politique du logement ambitieuse et solidaire, qui fasse appliquer la loi SRU et les 20% de logements sociaux sur l’ensemble du territoire, sans dérogations. Sans cela, l’application du Droit au logement opposable (DALO), notamment sur les zones tendues, restera théorique ou compromettra les fragiles équilibres sociaux et urbains obtenus.

8. Renforcer l’action des associations au service de la politique de la ville

Les associations sont des acteurs majeurs et incontournables des quartiers, au titre de leur rôle de médiation et de soutien aux populations. Elles encouragent par ailleurs la mobilisation des habitants et leur participation collective aux projets de ville. Aujourd’hui, les associations sont isolées et, pour certaines, assez désemparées face aux mouvements de réorganisation administrative, liés à la Révision générale des politiques de publiques (RGPP), avec la création de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) au premier semestre 2009, reprenant une partie des missions de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) et la mise en place, hors Ile-de-France, depuis le 1er janvier 2010, des Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS). En conséquence, nous souhaitons :

• clarifier les missions et les compétences des différents opérateurs publics intervenant dans le domaine de la politique de la ville (formations linguistiques, réussite éducative, action culturelle, prévention et lutte contre les discriminations, etc),

• sécuriser les crédits des associations, via des Conventions pluriannuelles objectifs (CPO). Les petites structures doivent pouvoir continuer à être soutenues par l’Etat. Les appels à projets nationaux, hors contractualisation, doivent être limités autant que possible,

• aider le tissu associatif à mieux se structurer et développer l’ingénierie administrative et financière. Des rapprochements entre organismes accomplissant les mêmes missions sur un même territoire doivent être envisagés,

• consolider le soutien aux organismes travaillant au rapprochement et au dialogue des communautés, à la promotion de la diversité culturelle et au renforcement des valeurs républicaines, au service du vivre-ensemble.