Loi Lamy : premier bilan, premiers effets, points de vigilance

Deux ans après l’adoption de la loi (Lamy) de « programmation pour la ville et la cohésion urbaine », le rapport parlementaire de François Pupponi et Michel Sordi en dresse un premier bilan. Ses conclusions : la « forte mobilisation » de la puissance publique a permis d’enclencher « un très grand nombre de réformes en très peu de temps » mais « le processus doit se poursuivre dans le temps… afin que les engagements pris par chaque acteur se concrétisent sur le terrain au profit des habitants. À ce titre, un travail important reste encore à accomplir sur la mobilisation du droit commun, sur la mixité sociale dans l’habitat, sur la participation des habitants et sur la solidarité financière intercommunale ». Zoom sur les principaux enseignements de ce rapport.

Une mise en place rapide, fruit de la volonté politique et de l’efficacité réglementaire

Un meilleur ciblage des concentrations urbaines de pauvreté. La nouvelle géographie prioritaire devait permettre d’en finir avec le saupoudrage des moyens publics : c’est en partie chose faite puisqu’on est passé de 2 500 CUCS à 1 514 QPV. Par ailleurs, le législateur peut se féliciter d’avoir retenu le critère unique du « revenu des habitants » et la méthode du « carroyage » pour définir le périmètre des nouveaux quartiers puisque la proportion des ménages à faibles revenus y est passée de 21,9 % à 31,4 %.

 

Une forte mobilisation de la puissance publique et de ses partenaires institutionnels autour des QPV. L’élaboration de la loi a été menée tambour battant au terme d’une concertation intense à laquelle Ville & Banlieue avait été largement associée. Les décrets d’application ont été publiés dans des délais très courts. Les ¾ des contrats de ville étaient signés au 1er septembre 2015 et presque 100 % d’entre eux au 1er janvier 2016. Du point de vue institutionnel, les 22 régions en sont signataires, 97 % des départements, 83 % des CAF, 77 % des bailleurs et 73 % agences de Pôle emploi concernées : soit un doublement ou un triplement du pourcentage de partenaires mobilisés au cours de la période de programmation précédente.

Un pilotage intercommunal encore perfectible. Tous ceux qui s’étaient exprimés au cours du débat sur l’élaboration de la loi avaient fait le même constat : les stratégies d’agglomération en faveur de l’emploi, de l’aménagement, des transports et du logement prenaient trop peu en compte les populations des quartiers en politique de la ville. Et l’implication obligatoire des intercommunalités dans les nouveaux contrats de ville entendait y remédier. Dès lors, 63% d’entre eux sont désormais pilotés par un EPCI et 37 % des communautés de communes ayant un QPV sur leur territoire ont choisi de prendre la compétence politique de la ville (non obligatoire pour elles) et d’assurer le pilotage stratégique du contrat de ville. Dans les faits, le pilotage intercommunal recouvre pourtant des réalités très disparates, allant de la simple « compilation documentaire » à la véritable « conduite stratégique », en passant par tous les degrés de coordination et de coopération avec les communes. Enfin, il faudra un certain temps pour que les 12 établissements publics territoriaux du Grand Paris se saisissent effectivement des nombreux contrats de ville conclus au sein de leur nouveau périmètre.

Des contrats de qualité inégale. Au plan qualitatif, les documents produits et signés offrent, selon le rapport, le même niveau d’hétérogénéité. Sous la pression du calendrier institutionnel, certains se sont contentés de contrats-cadres fixant de grandes orientations. Le pilier « développement économique » est jugé assez faible par la plupart des acteurs. Celui du « cadre de vie et du renouvellement urbain » n’est véritablement développé qu’en cas de PRU. Le pilier « cohésion sociale » reprend souvent les actions de l’ancien CUCS. De même, « de nombreux signataires, comme les régions, les départements, l’éducation nationale ou les agences régionales de santé (ARS) ont eu des difficultés à proposer des actions innovantes ou véritablement différenciées pour les quartiers prioritaires ». Enfin, les services déconcentrés ont eu le plus grand mal à décliner concrètement sur le terrain des QPV, les conventions d’objectifs interministérielles signées entre le ministère de la ville et les autres ministères en 2013 et 2014. Exception notable : « la CNAF a incité ses caisses à s’investir dans la préparation des contrats de ville, décidé d’accorder une majoration des aides financières à la création de places d’accueil collectif des jeunes enfants dans les QPV, et elle s’est engagée à ouvrir des centres sociaux dans les 150 QPV qui n’en disposent toujours pas ».

 

L’évaluation oubliée. Pression du calendrier, déficit de méthode ou d’expertise locale, carence du nouvel observatoire de la politique de la ville ? Les contrats de ville, qui devaient désigner « une structure locale d’évaluation », ne l’ont pratiquement jamais fait, certains négligeant même le chapitre de l’évaluation.

Deux objectifs à tenir : la solidarité financière et la participation citoyenne

Des annexes financières non publiées, des pactes de solidarité financière et fiscale encore rares. De même, il semble que « les annexes financières permettant de distinguer les crédits spécifiques et les moyens de droit commun mobilisés dans les QPV, n’aient pour la plupart pas été publiées. Le rapport fait aussi valoir qu’ « aucun EPCI ou presque n’a engagé, à ce jour, l’élaboration spécifique d’un pacte financier et fiscal dans le cadre des contrats de ville ». De nombreux acteurs interrogés demandent « un modèle national » pour pouvoir le faire. Enfin, le rapport signale un amendement adopté dans le cadre de la loi NOTRe exigeant d’un EPCI n’ayant pas mis en place un tel pacte un an après l’entrée en vigueur du contrat de ville, « l’instauration d’une DSC au profit des communes en politique de la ville, d’un montant au moins égal à 50 % de la progression des recettes fiscales intercommunales ».

Un contrôle des abattements de TFPB toujours inapplicable. On le sait : les organismes HLM bénéficient d’un abattement de 30% de la TFPB due aux communes en contrepartie d’un engagement de leur part dans l’amélioration, la qualité (du cadre) de vie des habitants des QPV concernés ; et la convention d’utilisation de cet abattement doit être annexée au contrat de ville. Or, faute de données précises transmises aux bailleurs par l’administration fiscale, ceux-ci ne peuvent faire l’objet d’aucun contrôle. Dans ces conditions, le rapport recommande de procéder par sondages locaux pour vérifier la réalité de cet engagement, et menace d’octroyer aux communes un droit de veto quant à l’abattement lui-même.

Une DPV toujours pas satisfaisante. Certes la dotation de développement urbain (DDU) a officiellement été remplacée par la dotation politique de la ville (DPV). Mais contrairement aux engagements pris, « ni le montant de la dotation (100 millions d’euros), ni les critères d’éligibilité et de répartition n’ont été modifiés par rapport à la DDU… Les circuits de distribution de cette dotation n’ont pas été modifiés. Ces crédits font toujours l’objet d’une contractualisation spécifique entre le préfet de département et les communes éligibles et celle-ci n’intervient que très tardivement dans l’année ». Les rapporteurs préconisent donc que, dès lors que les contrats de ville ont été signés, « la DPV soit versée en début d’année aux communes selon une programmation triennale et qu’une partie de la DPV puisse être versée à l’EPCI compétent en accord avec les communes éligibles ».

Les conseils citoyens : des débuts prometteurs en dépit de certains bémols ; et un chantier dont l’Etat ne devra pas se désengager. Si le rapport se félicite que les conseils citoyens aient globalement été bien accueillis et qu’ils aient permis d’impliquer de nouveaux habitants dans la vie locale du quartier, il reconnaît aussi un certain nombre d’insuffisances à ce propos : des délais trop courts pour mobiliser la nouvelle instance dans l’élaboration du contrat de ville, un tirage au sort diversement accepté et pratiqué par les acteurs locaux, une autonomie variable par rapport aux élus locaux… Négligeant peut-être trop rapidement la nouveauté de l’exercice et la nécessaire adaptation aux configurations locales, les rapporteurs réclament plus de fermeté dans l’application de la loi. En revanche, ils soulignent très justement que cette expérience ne survivra pas sans moyens financiers, tant pour le fonctionnement concret que pour la qualification des acteurs.

Deux chantiers inaboutis : le nouveau programme de rénovation urbaine et les politiques de peuplement

NPNRU : Un cadre sans doute bien conçu mais des retards sous-estimés. Le rapport adresse d’abord un long satisfecit à l’ANRU – présidée par l’un de ses auteurs – pour la publication rapide (en décembre 2014) des 216 quartiers d’intérêt national et des 200 quartiers d’intérêt régional. Il se félicite aussi du nouveau règlement général du NPRNU approuvé en août 2015, qui permet « des financements croisés sur le logement, les voiries et les équipements publics » ; qu’il instaure « des aides à la minoration de loyer pour les locataires relogés dans des logements sociaux neufs ou conventionnés depuis moins de cinq ans afin que le relogement causé par une opération de renouvellement urbain n’entraîne pas une hausse des loyers pour les ménages concernés » ; qu’il réclame que « la reconstitution de l’offre locative sociale soit située par principe hors du quartier d’intervention afin de favoriser la mixité sociale » ; qu’il soutienne par des subventions « la co-construction des projets de renouvellement urbain par l’intermédiaire des conseils citoyens et des maisons de projet ». Côté financements, le rapport assure que la convention quinquennale 2015-2019 signée en octobre dernier entre l’État et Action Logement répond aux besoins : avec 3,2 milliards d’euros de subventions au NPNRU, 2,2 milliards d’euros de prêts bonifiés, 600 millions d’euros de reliquat du PNRU et 400 millions d’euros provenant de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Malgré ces dispositions favorables, le rapport reconnaît que le pilier « cadre de vie et renouvellement urbain » des contrats de ville n’est « généralement pas très précis dans la mesure où les quartiers retenus pour le NPNRU ont été connus postérieurement ». Evoquant la négociation des protocoles de configuration, « en cours dans de très nombreux territoires », le rapport passe sous silence les demandes d’études complémentaires et les exigences sans cesse renouvelées de l’ANRU vis-à-vis des porteurs de projets. Pas plus qu’il ne s’inquiète du mécontentement des acteurs de terrain (élus locaux et habitants confondus) devant le retard pris dans le démarrage des opérations.

La mixité sociale toujours en attente d’une solution législative. La plupart des observateurs soulignent que si la rénovation urbaine peut transformer en profondeur le cadre bâti ou améliorer sensiblement la qualité du cadre bâti, elle n’apporte aucune réponse aux difficultés économiques et sociales des ménages, et contribue peu, jusqu’à présent et sauf exceptions, à accroître la mixité sociale des quartiers. C’est pourquoi le législateur avait imposé aux territoires en politique de la ville, une convention dite « d’équilibre territorial » sur les objectifs de mixité sociale à prendre en compte pour freiner ou réduire la concentration de ménages précaires dans les logements sociaux situés en QPV. Résultat constaté par le rapport : « Près de deux ans après la promulgation de la loi, aucune convention signée sur 345 EPCI soumis à cette obligation ». Explication avancée par ses auteurs : une coordination difficile avec les conférences intercommunales du logement créées par la loi ALUR. Une contradiction résolue en principe depuis novembre dernier, mais de façon imparfaite, car les CIL sont facultatives quand les CET demeurent obligatoires. Devant l’ampleur du problème et le risque de voir s’amplifier les effets de la ségrégation urbaine et sociale dans les quartiers populaires des agglomérations, les deux rapporteurs en appellent donc à une « clarification » rapide – peut-être dans le cadre du projet de loi « Egalité et citoyenneté » – demandent un « effort de hiérarchisation » ainsi qu’une « impulsion forte de la part des préfets ». La noble ambition reste hors d’atteinte.

Pour en savoir plus