Logement et urbanisme : ce que la loi Alur va changer…

Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), adopté définitivement par le Parlement le 20 février, transforme – à travers un texte monumental de 180 articles et 340 pages – le paysage réglementaire du logement et de l’urbanisme. Parfois de façon nette et quelquefois contestée, parfois plus à la marge, au terme de longs compromis législatifs. Tentative pour faire ici le point sur les principales novations de ce texte.

Une longue bataille politique et juridique
Sans revenir sur toutes les subtilités ni entrer dans tous les méandres de la discussion parlementaire, il convient de rappeler que gauche et droite se sont violemment opposées au cours de l’examen du texte, les uns saluant « une loi de gauche, une loi de régulation » les autres déplorant « un mastodonte législatif », une « limitation des conditions d’exercice du droit de propriété » remettant en cause « la liberté contractuelle propriétaire/locataire ». Rien d’étonnant par conséquent à voir le Conseil constitutionnel aujourd’hui saisi par l’opposition parlementaire sur ces motifs.

Evolution des relations propriétaires/locataires
Au cœur de la loi, figure en effet l’ambition de rééquilibrer au profit des seconds, les relations historiques entre propriétaires et locataires. Le texte passe donc en revue tous les chapitres de la contractualisation – état des lieux, montant des loyers, caution, frais d’agence, vente à la découpe, … – pour essayer d’en corriger les abus ou les dissymétries flagrantes. Il revient sur la déontologie et les pratiques des professions immobilières. Enfin, il révise le régime des copropriétés et propose un dispositif de prévention/traitement des copropriétés dégradées qui affectent durement les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Garantie universelle des loyers (GUL)
La loi instaure un mécanisme de « garantie universelle des loyers » visant à sécuriser le contrat propriétaire/locataire ; l’État se portant caution des locataires et se substituant à ceux qui se montreraient défaillants dans le versement de leurs loyers. Coût de fonctionnement de la mesure : 400 millions d’euros, pour une couverture ne pouvant excéder 18 mois de loyer. Limite à l’universalité du système : les propriétaires pourront choisir entre cette formule et le régime actuel (de caution familiale du locataire) ou un système d’assurance privée.

Encadrement des loyers
Face à la montée constante des charges de loyers dans notre pays – les prix de l’immobilier sont restés stables en Allemagne ces dix dernières années, là où ceux de la France ont plus que doublé – le gouvernement a opté pour une régulation comparable à celle qui prévaut outre-Rhin depuis les années 70 : un loyer médian de référence vis-à-vis duquel – dans toutes les zones tendues – les loyers ne pourront être augmentés que s’ils s’avèrent de plus de 30% inférieurs à celui-ci et dans la limite de 20% au-dessus de celui-ci. Un mécanisme dont la ministre annonce aujourd’hui qu’il permettrait de faire baisser 25% des loyers actuels.

Mesures sociales pour le logement des plus démunis
La loi permet de repousser le recours aux expulsions en renforçant les Commission de coordination des actions de prévention des expulsions (CCAPEX), en repoussant de 1 à 3 ans le délai de déclenchement possible d’une procédure d’expulsion pour un ménage logé au titre du Dalo, et en rallongeant de 15 jours la trêve hivernale gelant désormais les expulsions du 1er novembre au 31 mars.
Enfin, le texte gouvernemental aggrave les sanctions contre les bailleurs de logements insalubres et les marchands de sommeil.

Attribution des HLM
L’information est améliorée par l’instauration d’un système national d’enregistrement permettant aux demandeurs de logement social de suivre l’avancement de leur dossier. Mais la réflexion sur les critères et la transparence des mécanismes d’attribution ont été repoussées à plus tard.

Réorganisation des bailleurs de logement social
Les Offices publics de l’habitat (OPH) seront rattachés aux EPCI compétents en matière de logement.
Les organismes HLM verront leurs compétences étendues puisqu’ils pourront devenir actionnaires de société d’habitat participatif ou leur assurer des prestations de service, louer des logements conventionnés pour l’hébergement d’urgence ou l’hébergement relais, vendre des immeubles à rénover, pratiquer la «Vefa inversée» en revendant à un opérateur privé des logements libres réalisés en accessoire à une opération de construction sociale…
Divers organismes seront créés comme l’Agence nationale de contrôle de logement social,  (ANCOLS), la Caisse de Garantie du Logement Locatif Social (CGLLS) ou l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL).

Habitat léger, mobile ou démontable : un permis d’habiter plus accessible et durable
Là encore , les conflits s’étaient multipliés ces dernières années du fait de la crise, poussant un nombre croissant de gens à rechercher des solutions résidentielles de fortune et de l’émergence de certaines attentes sociales de résidences plus et mieux intégrées à la nature. La loi ALUR cherche donc à faciliter l’implantation de toutes ces formes d’habitat « léger » (yourte, tipi, roulotte, mobil-home, … ) comme résidences principales, en définissant les règles à respecter de part et d’autre pour un habitat digne et respectueux de son environnement.
Du côté de l’urbanisme réglementaire, ce type d’habitat, tout comme « les terrains familiaux locatifs » permettant aux gens du voyage semi-nomades de bénéficier d’un ancrage territorial stable devront pouvoir être autorisés en zone urbaine, comme dans les « pastilles » définies au sein des zones agricoles ou naturelles des PLU. A charge pour les documents d’urbanisme de  définir les terrains où ces résidences mobiles ou démontables peuvent être installées.
Du côté des résidents, ceux-ci devront faire en sorte que leur habitat réponde à un « cahier des charges » à préciser par décret, portant sur la réversibilité de l’habitat les conditions de raccordement aux réseaux collectifs d’eau, d’électricité et d’assainissement, la salubrité, la propreté et la sécurité de la résidence.

Reconnaissance, statut légal et mesures facilitatrices pour l’habitat participatif
C’est l’aspect le plus innovant de la loi sur le plan social. En effet, avec les sociétés d’habitat participatif, la loi ALUR consacre juridiquement les démarches citoyennes de partage et de solidarité dans l’habitat entre particuliers.
Concrètement, l’habitat participatif permet à des personnes ou à des ménages (éventuellement avec des personnes morales, organismes HLM ou SEM) de se regrouper pour partager, acquérir ou construire un ou plusieurs immeubles destinés à leur logement.
Ce qui pourra se traduire par deux formes juridiques distinctes : les coopératives d’habitants, ou les sociétés d’autopromotion, qui définissent contractuellement la répartition des parts sociales, l’attribution des droits locatifs ou d’acquisition, le mode de gestion des lieux collectifs de vie. 

Modernisation des règles d’urbanisme : des PLU intercommunaux
La loi ALUR supprime officiellement les Plans d’occupation des sols (POS) au 31 décembre 2015 pour inciter les communes concernées à se doter d’un plan local d’urbanisme (PLU), sous peine de tomber sous le coup du Règlement national d’urbanisme (RNU).
Elle instaure aussi – parmi les mesures les plus discutées – le transfert de la compétence PLU aux intercommunalités, avec l’apparition de PLU-I. Finalement et après de longues discussions, l’élaboration du PLU sera transférée à l’intercommunalité dans les trois ans suivant l’entrée en vigueur du texte, sauf opposition de 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population. Une clause de revoyure prévoit que le conseil communautaire et les communes délibèreront sur le transfert de compétence au niveau intercommunal à chaque renouvellement, même si un transfert volontaire peut intervenir entre deux renouvellements. Les PLH (Plans Locaux de l’Habitat) et autres PDU (Plans de déplacement urbain) pourront être intégrés aux nouveaux PLU-I. Et les citoyens pourront être associés à leur élaboration à travers de nouvelles formes de concertation citoyenne plus précoces que l’enquête publique jusque là en vigueur.
En fin de compte, la loi a recherché un compromis qui consacre l’orientation inéluctable en direction de PLU-I (comme le demandait l’Adcf) tout en ménageant les susceptibilités de ceux qui (à l’AMF ou parmi les maires ruraux) s’inquiétaient de voir le fait communal désormais ignoré.

Modernisation des règles d’urbanisme : des SCoT renforcés
Le SCoT sort en effet renforcé de cette réforme, qui en fait « le document intégrateur » de tous les schémas et normes locales : le PLU disposera au maximum de 3 ans pour se mettre en conformité avec le SCoT. Là encore, la discussion a porté sur l’échelle la plus pertinente, et le législateur a finalement fait le choix d’un « seuil territorial suffisant » en proscrivant la possibilité d’élaborer un SCOT à l’échelle d’une seule intercommunalité.
Par ailleurs, le SCoT se voit fixer deux règles nouvelles : il devra analyser le potentiel de densification et de mutation des espaces bâtis d’une part ; d’autre part, il devra réaliser un diagnostic agricole pour évaluer l’impact global de l’agriculture sur l’activité économique du territoire, et préserver le foncier et les exploitations agricoles.
Enfin, le SCoT devient aussi le pivot de l’aménagement commercial avec son document d’orientation et d’objectifs (DOO) : celui-ci précisera les orientations relatives à l’équipement commercial et les localisations préférentielles des commerces, en fonction des objectifs de revitalisation des centres-villes, de maintien d’une offre commerciale diversifiée de proximité, d’économie d’espace, de déplacement et d’émissions de gaz à effet de serre à réaliser.

Un renforcement de la préemption pour le logement
Ainsi que Ville & Banlieue le réclamait depuis longtemps, la loi renforce d’abord les prérogatives de l’État quant à l’application de la loi SRU. Le préfet pourra donc exercer son droit de préemption dans toutes les communes en retard sur leurs obligations de construction de logements sociaux (soit quelque 200 communes en France). Nonobstant l’avis de la commune, le préfet pourra préempter « tout type d’immeubles »… pour peu qu’ils soient affectés à du logement.
Par ailleurs, la loi précise et régule les modalités de mise en œuvre du droit de préemption des collectivités : avec de nouvelles possibilités d’information et de visite avant préemption pour les communes, et de zones d’aménagement différé (ZAD) pour les intercommunalités.

Un coup d’accélérateur à l’ingénierie foncière… au prix d’une forme de recentralisation
Le texte final de la loi cherche à consolider partout l’ingénierie foncière à travers des établissements publics fonciers (EPF) d’État ou locaux. Objectifs prioritaires : produire des logements, lutter contre l’étalement urbain, garantir l’aménagement durable du territoire. Pour cela, il stipule que l’État pourra mettre en place un établissement public foncier (EPF) dont le périmètre se superpose avec celui d’un EPF local créé avant le 26 juin 2013, avec l’accord des collectivités, communes et EPCI, concernées par la superposition. Ce que l’on peut interpréter comme une garantie de cohérence pour la politique foncière, mais aussi comme une marque de défiance de l’État aux collectivités mises par la loi en situation générale de plus grande responsabilité.

Une densification qui ne sacrifie pas l’environnement
La loi ALUR offre davantage de possibilités pour renforcer la densification en zone urbaine et pouvoir construire davantage là où les besoins de logements sont les plus importants. S‘agissant en particulier des quartiers pavillonnaires, la loi fait sauter les verrous existants – COS et taille minimale de terrain – tout en favorisant la subdivision des lots dans les lotissements.
Du côté des garanties environnementales, le texte contraint désormais le SCoT à présenter une analyse de la consommation d’espace et à fixer un objectif chiffré de limitation de celle-ci, ce qui revient à déterminer de fait le niveau tolérable de densification souhaitable par territoire. Enfin, pour que la densification ne se fasse aux dépens des espaces naturels en ville, le texte instaure un « coefficient de biotope : ratio entre la surface d’une parcelle construite ou constructible et la surface nécessaire à la nature : « Le PLU pourra ainsi favoriser le maintien ou le renforcement de la biodiversité et de la nature en ville en réservant – lors d’opérations de construction, rénovation ou réhabilitation – une part de surfaces non imperméabilisées ou éco-aménageables : sols, surfaces en pleine terre végétalisées, toitures et terrasses ou murs et façades végétalisés, surfaces alvéolées perméables, zones humides,… »

Contre l’artificialisation des sols : un arsenal plus puissant
La loi s’est donnée pour première priorité de favoriser le reclassement en zones non constructibles des zones à urbaniser les plus éloignées des réseaux (actuellement classées « 2AU »), et ceci à travers deux dispositions : d’abord une délibération motivée démontrant que cette ouverture à l’urbanisation est rendue indispensable pour la construction ; ensuite un classement en zones naturelles ou agricoles (N) de celles qui n’auront fait l’objet d’aucun projet au bout de 9 ans, ce classement n’étant lui-même réversible qu’à travers une procédure de révision de PLU.
Contre le mitage des espaces ouverts et des paysages, la loi donne aussi plus de pouvoir aux  commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA).

Aménagement commercial : des règles plus vertueuses
En cas de cessation d’activité, les opérateurs de l’aménagement commercial se verront d’abord imposer l’obligation d’organiser la remise en état du terrain ou de traiter leurs friches.
Par ailleurs, la superficie des parcs de stationnement des équipements commerciaux sera plus strictement limitée, même si cette limitation doit prendre en compte les surfaces perméables et celles dévolues à l’alimentation des véhicules électriques.
Enfin, le texte réglemente l’implantation des « drive » dont le nombre a littéralement explosé ces dernières années : ceux-ci seront plus que jamais soumis à autorisation et ne pourront plus être implantés que dans les zones urbanisées ou dans les zones commerciales existantes, à proximité des lieux de vie et de consommation. 

Sols pollués : enfin le dégel ?
La question « pollue » l’aménagement d’un très grand nombre de sites en France et participe au gel de très nombreuses opérations, enlisées dans d’inextricables procédures contentieuses. Au total, au-delà des 4 000 sites actuellement identifiés comme des points noirs présentant des risques pour l’environnement et la santé humaine, 300 000 sites seraient concernés par un risque potentiel de ce type.
La loi propose donc un ensemble de dispositions devant permettre de sortir de l’impasse juridique et de « recycler » en toute sécurité un certain nombre de terrains pollués à des fins de construction.
Parmi les mesures annoncées, la plupart vise d’abord à instaurer la transparence de l’information des populations, pour pouvoir sortir de la défiance réciproque.
Ensuite, elles visent à établir le principe du pollueur-payeur pour établir les responsabilités et permettre à tous les acteurs de s’engager en toute connaissance de cause.
Enfin, elle cherche à promouvoir l’essor d’une filière économique intégrée d’entreprises de dépollution, condition sine qua non de leur recyclage effectif au sein du foncier effectivement viable pour la construction.

Lien :
http://www.territoires.gouv.fr