La banlieue du « 20 h »avec Jérôme Berthaut

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Jérôme Berthaut, sociologue des médias, maître de conférences à l’université de Bourgogne et chercheur associé au laboratoire « Migrations et société » (URMIS-CNRS) était l’invité de Ville & Banlieue, le 27 novembre 2014.
Autour d’élus et de responsables de communication de quelques unes de nos villes adhérentes, il avait livré les éléments les plus saillants de son travail.

A partir d’une enquête réalisée durant plusieurs stages entre 2003 et 2007 au sein de la rédaction du Journal télévisé de France 2, Jérôme Berthaut relate avec La banlieue du « 20 heures » les grandes étapes de la production journalistique en analysant comment les représentations médiatiques, mais également les pratiques professionnelles, contribuent à perpétuer les stéréotypes sur les quartiers populaires et leurs habitants.

A l’origine de cet ouvrage, une interrogation : comment des problèmes de représentations à propos des banlieues peuvent perdurer alors que la majorité des journalistes connaissent les principaux stéréotypes et sont à même d’identifier des pratiques réductrices ? Pour y répondre, Jérôme Berthaut a placé son observation au sein de la rédaction, en passant par le terrain jusqu’à la production ; ce qui lui a permis de reprendre le fil du travail journalistique afin de mettre en exergue les processus qui perpétuent les prêts à penser sur les quartiers de banlieue. 

La première étape du travail journalistique est la « délimitation » du sujet au sein de la rédaction. En tant que lieu principal de socialisation professionnelle, la rédaction et son organisation interne ont des incidences sur les lignes éditoriales. Le plus souvent, la division du travail se fait à la faveur des attentes de la hiérarchie et de leurs priorités éditoriales. Ces dernières peuvent être issues d’autres rédactions et s’ériger en modèles. C’est ce qui se passe quand des journalistes formés dans le privé se positionnent durablement dans une rédaction publique ; ils importent avec eux des manières de penser, des normes et une nouvelle éthique du journalisme.

Face à ces modèles de journalisme, d’autres éléments comme l’entre-soi hiérarchique qui dévalorise le point de vue des journalistes présents sur le terrain, la prédominance des sources officielles, ou les effets de la concurrence interne entre chef de services pèsent sur la production des sujets et la perpétuation des stéréotypes.

Une fois l’angle éditorial arbitré, la production du sujet sur le terrain s’avère également soumise à de nombreux biais. Tout d’abord, l’effet de distance sociale entre les habitants des quartiers populaires et les journalistes entraine une appréhension de la part des journalistes. Ils vont devoir compenser cet éloignement en inscrivant leurs pratiques dans des routines professionnelles. Le plus souvent, les journalistes ont recours à des intermédiaires : élus ou agents municipaux, figures locales ou associatives, « fixeurs ». Cette pratique a des effets très puissants sur la réalité sociale observée, puisque la sélection du quartier et des personnes rencontrées reste une démarche qui leur est étrangère. L’hétérogénéité et la diversité, bases supposées du travail journalistique, sont alors en partie effacées. Pour les journalistes, ces intermédiaires assurent également leur sécurité et permettent de réaliser dans un temps très court les attentes de leur rédaction.

Enfin, la production finale des reportages est le moment où les normes techniques liées au montage permettent aux directives des chefs de services de prendre le dessus sur le travail et les matériaux des journalistes. C’est à ce moment-là, si l’intériorisation des normes et des valeurs de la rédaction par les journalistes n’est pas jugée satisfaisante, qu’une ingérence s’opère dans le montage d’un sujet. Le journaliste se retrouve alors contraint de rogner une partie d’une interview ou de réduire un commentaire ; ce qui rendra le développement du sujet plus facilement soumis à des stéréotypes.

L’ensemble de ces observations décrites, une discussion s’est engagée entre Jérôme Berthaut et les membres de Ville & Banlieue. Beaucoup ont alors déploré le traitement médiatique des banlieues et ont regretté que les faits divers, synonyme d’audiences pour les médias, soient devenus la norme du journalisme du JT. Face à cette réalité du travail journalistique, tous ont pu s’interroger sur les mesures à prendre pour lutter contre ses méthodes de travail.

Dans la gestion immédiate d’un événement, une des solutions consisterait à ce que le travail des journalistes, si le sujet et la démarche le justifient, soit accompagné et guidé de très près. Plus généralement, il est apparu évident qu’une distinction dans le traitement journalistique doit être faite entre les rédactions privées et publiques. Les méthodes de travail des rédactions publiques ne devraient pas s’inscrire dans la concurrence médiatique pour au contraire promouvoir des sujets proches de la réalité sociale. Enfin, les rédactions gagneraient à être plus diversifiées afin notamment que la formation et les parcours des journalistes soient plus valorisés dans les organigrammes ; ce qui permettrait d’éviter certains stéréotypes.

 

Bibliographie :
Jérôme Berthaut
La banlieue du « 20 heures »
Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique
Editions Agone, 2013