Inégalités territoriales : un enjeu de la présidentielle ?

Selon une note de France Stratégie, le commissariat général à la stratégie et à la prospective, les inégalités territoriales seront un enjeu dans la course à l’Elysée. Deux géographes, Gérard-François Dumont et Daniel Béhar, analysent les constats et les propositions de France Stratégie et les conséquences de la réforme territoriale. Débat.

Que pensez-vous de la note de France Stratégie sur les dynamiques et inégalités territoriales ?
Gérard-François Dumont :
France Stratégie est un organisme rattaché au gouvernement : ses notes, sur quelque sujet que ce soit, semblent avoir pour principal objectif de justifier les décisions de celui-ci, sans guère d’esprit critique.
Tout au long de cette note, nous avons un certain nombre d’affirmations qui ne sont absolument pas étayées par des analyses géographiques suffisamment fines pour comprendre la réalité. Cette note apparaît inspirée par ce que j’ai appelé « l’idéologie de la métropolisation », qui pense que le processus de métropolisation impliquerait des effets semblables sur tous les territoires. Or, cela est faux : les effets sont différents, notamment en fonction des gouvernances territoriales. En France, certaines métropoles ont connu une augmentation de l’emploi, comme Toulouse, grâce à l’effet Airbus ; d’autres ont connu une baisse. Et ceci, malgré les décisions gouvernementales tendant à avantager les métropoles…

Daniel Béhar : Je suis étonné par le décalage entre ce que dit la note et les commentaires des médias et des politiques. Toutes les réactions étaient axées sur « l’aggravation des inégalités territoriales entre les métropoles et le reste des territoires » et, quand vous lisez la note, elle ne dit pas strictement cela. La carte montre des inégalités géographiques, pas par taille. Ce que dit très bien la note, c’est qu’il y a un décalage entre la France de l’est et la France du sud, quelle que soit la strate territoriale. Cela invalide complètement les thèses de Christophe Guilluy sur la « France périphérique », qui est une construction idéologique.
Cela confirme ce que disent tous les géographes : aujourd’hui, il y a une différenciation territoriale des inégalités beaucoup plus qu’une coupure entre les métropoles et le reste des territoires. Deuxième élément, la note insiste sur le fait que les inégalités les plus graves se retrouvent au sein des métropoles.
Lire aussi : « Les élites sont obnubilées par les métropoles » – Christophe Guilluy, géographe

La métropolisation reste toujours un clivage…
G.-F. D. :
C’est un clivage dans la mesure où les décisions de ces dernières années, de droite comme de gauche, sont issues de lois rédigées par des personnes qui croient en l’idéologie de la métropolisation, qui pensent que la compétitivité de la France ne repose que sur les métropoles et que le reste du territoire en est totalement dépendant. Cette idéologie est complètement erronée. Il n’existe, dans aucun pays, de corrélation entre l’attractivité des territoires et l’importance de leur peuplement.

 D. B. : C’est là que la note me surprend. Autant, dans sa partie analytique, je la trouve tout à fait être le reflet de situations objectives ; autant, dans la partie des préconisations des politiques publiques, elle enfonce des portes ouvertes ! Elle revient sur un débat qui est vieux comme les politiques d’aménagement du territoire en France.
A l’époque des villes nouvelles dans les années 1960, c’était le même débat : Paul Delouvrier était anti-Jean-François Gravier et de Gaulle avait les deux fers au feu.
Là, on retombe dans ce faux débat, qui veut faire croire que ce qui est hors des métropoles n’est pas dynamique. Notre monde fonctionne sur l’interdépendance. En France, nous disposons d’un système métropolitain extrêmement maillé. L’économie métropolitaine n’est pas la même qu’à Londres ou New York – où elle repose sur la finance -, pas plus que dans les villes spécialisées d’Allemagne. On se trompe si l’on croit que ça va dans un seul sens.

Faut-il plus d’autonomie financière pour les grandes collectivités ?
G.-F. D. :
A partir du moment où l’on considère qu’il faut permettre aux territoires d’améliorer leur gouvernance locale, cela suppose qu’ils aient davantage d’autonomie financière. Contrairement à ce qu’indique cette note, nous avons assisté ces dernières années à un recul de l’autonomie financière des collectivités territoriales. L’Etat a centralisé nombre de recettes auparavant locales, ou mis en œuvre des réformes comme celle de la taxe professionnelle qui est beaucoup moins corrélée à la dynamique économique locale.

D. B. : Le premier enjeu aujourd’hui du point de vue de l’Etat, c’est la différenciation territoriale – et cela renvoie aux différences entre le nord et l’est, la France du sud, etc. On ne peut pas avoir les mêmes politiques partout, parce que les enjeux de décrochage et d’inégalité ne sont plus du tout les mêmes. La question, c’est de fabriquer des politiques horizontales plutôt que des politiques de redistribution verticales, et donc l’enjeu est dans l’autonomie fiscale, évidemment.
Lire aussi : Quelle autonomie financière pour les collectivités locales ?

Quels sont les défis pour les nouvelles intercommunalités ?
G.-F. D. :
Il y a deux défis pour l’intercommunalité : le premier, législatif, le second, local. Comme je l’ai dit dès 2014, il faut revoir la loi « Notre » et ne pas obliger à centraliser de façon systématique, au niveau de l’intercommunalité, un certain nombre de compétences, mais laisser les territoires s’organiser en fonction des réalités géographiques.
Par exemple, le gouvernement a reconnu qu’il était absurde de vouloir transférer systématiquement les offices de tourisme : pour certains territoires, cela n’a pas de sens. Il faut arrêter d’obliger à ce que les services de l’eau se fassent dans les périmètres des intercos quand ceux-ci ne correspondent pas aux bassins versants !
Ensuite, au plan local, il faut trouver une bonne méthode de gouvernance des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). La seule méthode d’interco efficace est la subsidiarité et il faut mutualiser, chaque fois que c’est plus efficace.

D. B : Nous allons avoir, dans les trois quarts des cas, des intercommunalités mixtes urbain-rural, donc la question va se poser à l’intérieur des institutions intercommunales. Mais cela n’épuise pas le sujet, puisque la carte des aires urbaines et celle des intercos ne se superposent pas. Il y a des intercos très étendues, qui vont chercher très loin du rural mais qui laissent de côté des « bouts » de périurbain. Il va falloir à la fois des politiques qui solidarisent l’urbain et le rural en interne, mais aussi entre intercos.

Va-t-on vers une rivalité entre régions et métropoles ?
G.-F. D. :
La façon dont les lois et leur application sont mises en œuvre introduit un conflit fondamental entre les métropoles et les régions. D’abord, parce que les moyens sont totalement inégaux. Les métropoles ont des moyens fiscaux, qui, malgré la baisse de la dotation globale de fonctionnement, restent très significatifs. En même temps, elles ont une énorme faiblesse, dans certains cas, liée au périmètre retenu.
Cela n’a aucun sens pour le Grand Paris de ne pas inclure Roissy ou la zone de recherche de Palaiseau, ni pour Lyon de ne pas comprendre son aéroport. Nous sommes dans un conflit majeur au regard de l’écart des moyens.
A cela s’ajoute la question de la solidarité entre les territoires. On a créé des frontières administratives nouvelles et très fortes dont la justification reste à prouver. Les métropoles semblent faites pour divorcer des départements, alors que les départements exercent un rôle considérable dans la solidarité urbain-rural.

D. B. : Ce n’est pas simple. Nous sommes arrivés au bout d’un discours fantasmatique de la Datar qui disait « il faut réformer la carte institutionnelle autour des métropoles et des régions ». C’est fait. Du coup, on se rend compte que ce sont deux instances rivales, elles possèdent sur le développement économique des capacités d’entraînement, de programmation, maintenant il faut voir comment elles s’agencent.
Le risque est grand que les régions tiennent un discours antimétropoles, au nom de l’équilibre : « je m’occupe du reste ». Sauf que c’est une plaisanterie, elles sont incapables de faire ça car elles ont des compétences métropolitaines. Le développement universitaire ne consistera pas à créer des universités dans les villes moyennes, mais à faire fonctionner des réseaux métropolitains d’universités. Les régions, soit se confortent dans un discours de la complainte, soit vont discuter avec les métropoles pour faire fonctionner ces systèmes interdépendants.

L’inégalité entre les territoires sera-t-elle, à votre avis, un enjeu de la prochaine présidentielle ?
G.-F. D. :
A écouter les grands responsables politiques, cela n’est pas le cas. En gros, ils disent « les territoires ont extrêmement souffert d’une multiplication de changements législatifs, arrêtons de vouloir tout bouleverser ». Lors du congrès des maires, le président du Sénat l’a énoncé très clairement. Il ne semble pas que les candidats les mieux placés estiment qu’il faille revenir sur ces lois. Pourtant, il y a un enjeu électoral.
A cet égard, il faut regarder la géographie du vote des sénatoriales en France ou celle du Brexit. Les décisions qui privilégient les métropoles donnent aux habitants des territoires ruraux le sentiment d’être exclus, avec le risque d’un vote protestataire élevé.

D. B. : Oui, certainement. Nous sommes en train de changer de monde et cela se manifeste concrètement sur le territoire. L’expansion territoriale de la globalisation, c’est notre vie quotidienne, donc, face à cela, soit on caresse les Français dans le sens du poil en disant « oui, le monde vous échappe, ça se passe ailleurs, on vous en veut » ; soit on leur dit « vous êtes dans ce monde, la mondialisation commence au pied de chez vous ».
Quand, dans les villes moyennes, les maires ont laissé partir les centres commerciaux en périphérie, il ne faut pas aller chercher la mondialisation, c’est eux qui l’ont fait dans leurs politiques d’urbanisme, à la demande de leurs habitants. Le zapping territorial est une première étape de la mondialisation, la fin de la centralité des villes moyennes n’est pas une politique de l’Etat, c’est une pratique des habitants et une politique d’élus locaux. Qui sera capable de dire cela lors de la campagne électorale ?

Par Pablo Aiquel
La Gazette des Communes du 2 septembre 2016

Références :
Dynamiques et inégalités territoriales, note d’analyse, France Stratégie, juillet 2016

 

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