Conséquences de la rénovation urbaine sur les parcours résidentiels de long terme des habitants des QPV

D’après une étude de Christine Lelévrier « La trajectoire, une autre approche des effets de la rénovation » (2014)

Thomas Kirszbaum et ses émules adressent à la rénovation urbaine deux critiques majeures.
Selon eux, celle-ci aurait imposé une sorte de « double peine » aux habitants des quartiers ; d’une part, une « gentrification » chassant les plus pauvres d’entre eux vers d’autres sites encore moins prisés et plus éloignés des agglomérations ; d’autre part, une dispersion des communautés immigrées les entraînant dans une nouvelle forme de déstabilisation et de déstructuration sociale.
Si la gentrification des quartiers de la politique de la ville est loin d’être avérée -parce que les classes moyennes ne se sont pas précipitées dans les quartiers rénovés- qu’en est-il de la dispersion des populations issues de l’immigration ?
L’article de Christine Lelévrier conduit à relativiser assez largement cette affirmation.

Selon l’auteur, les habitants des quartiers peuvent être classés en « 3 grandes catégories » aux trajectoires géographiques et sociales distinctes. Leur seul point commun ? Avoir vécu leur arrivée « dans la cité » comme « une amélioration de leur situation résidentielle et une garantie sociale face aux risques de désaffiliation ». Au-delà, démontre Christine Lelévrier, elles ont trouvé dans la rénovation urbaine de leur quartier des contraintes et des « opportunités » assez différentes.

Pour les « vieilles familles ouvrières », le quartier a constitué une ressource importante leur permettant de stabiliser leur situation, de changer de logement suivant l’agrandissement de leur famille, de s’ancrer socialement et culturellement. Cependant, le « quartier-village » de leurs premières années de résidence a été déstructuré depuis longtemps -bien avant la rénovation Borloo- et elles ont eu du mal à intégrer l’arrivée de populations d’immigration plus récente.
Pour ces familles, la rénovation urbaine est intervenue en fin de parcours résidentiel, et les a conduit soit à opter pour un retour « au pays », soit à profiter de l’occasion pour se reloger dans un secteur géographique correspondant davantage à leurs aspirations, voire pour devenir propriétaire d’un appartement ou d’un pavillon. On peut considérer qu’elles en tirent donc un bénéfice positif.

Pour les « ménages fragilisés par la vie ou la crise économique », très ou totalement dépendants des aides sociales, la résidence dans le quartier n’a jamais procédé d’un choix mais d’une nécessité résultant de leurs faibles capacités économiques : captives de leur logement, ces familles ont toujours dû préserver une marge de manoeuvre financière pour vivre ou survivre. Dans ces conditions, elles ont surtout cherché à faire en sorte que ces opérations de rénovation urbaine « imposées » ne leur fassent pas courir de plus grands risques ou n’aggravent pas leur situation.
Dans le cas le plus favorable, les familles nombreuses y ont trouvé une occasion de se reloger dans un logement mieux adapté à leurs besoins. Dans l’hypothèse la plus défavorable, elles ont accepté un meilleur logement au prix d’un éloignement ou d’un isolement plus important. Dans la plupart des cas, elles subissent la rénovation urbaine, qui ne transforme en rien leur situation d’impuissance et de dépendance sociale.

Pour les « petits ménages actifs », mieux installés dans l’emploi et la vie sociale, mieux insérés dans les réseaux familiaux, locaux et sociaux, les perspectives se sont avérées plus ouvertes et multiples. Ceux qui étaient en cours d’ascension sociale ont souhaité intégrer un environnement plus favorable pour leurs enfants. D’autres ont voulu profiter de l’occasion pour réaliser un projet d’acquisition, se rapprocher de leur travail, demander un logement plus grand, permettre à leurs enfants ou à leurs proches hébergés de « dé-cohabiter ». Même si elles restent « des ménages à revenus modestes », ces familles trouvent plus fréquemment que d’autres des opportunités résidentielles pour sortir de la cité, pour se reloger dans le neuf, ou accéder à l’autonomie.

La critique de Thomas Kirszbaum demande donc à être fortement nuancée. D’une part, la rénovation urbaine produit des effets divers sur les familles des QPV, pouvant aussi bien favoriser le parcours résidentiel des vieilles familles ouvrières, offrir aux ménages les plus «solides » de réelles opportunités de mobilité positive, que laisser les plus fragiles sans solution, voire les fragiliser davantage. D’autre part, l’examen des trajectoires résidentielles de longue portée impose de « déconstruire la catégorie immigrée » en fonction des situations familiales et sociales, car « les vielles familles ouvrières originaires du Maghreb, du Sénégal, mais également du Chili, du Portugal ou d’Asie, et les enfants d’immigrés, peuvent se saisir de ses opportunités résidentielles pour sortir du quartier ou au contraire s’y ancrer ».