Comment ont voté les banlieues populaires ? Les municipalités de banlieue après le séisme du 30 mars

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Comment ont voté les banlieues populaires ?

Les municipalités de banlieue après le séisme du 30 mars

 

Ville & Banlieue, qui rassemble une centaine de maires des plus grandes agglomérations urbaines de France, revient ici sur le vote qui a radicalement bouleversé la donne politique dans les communes de plus 10 000 habitants et s’apprête à inverser la carte des agglomérations.

1. Des records d’abstention
Défiance, déception, colère froide, sentiment d’impuissance et/ou conviction partagée que cette élection ne changerait rien de décisif à leur situation ? Les quartiers et les communes populaires des périphéries urbaines ne se sont pas mobilisés en masse pour ces élections.
Des pics d’abstention avaient déjà été atteints lors du scrutin du 23 mars, y compris parmi les villes ayant élu leur maire au 1er tour : on comptait ainsi 60,2% d’abstentionnistes à Clichy-sous-Bois (93), 58,2% à Sarcelles (95) et 57,3% aux Mureaux (78) il y a huit jours.
Mais les banlieues ont encore très peu voté pour ce second tour des élections municipales. Ainsi, sur les 52 villes de l’Association à devoir rouvrir leurs bureaux de vote le 30 mars :
– 1 seule (La Seyne-sur-Mer, soit 2% du total) a connu une participation supérieure à la moyenne nationale (36,3% d’abstentions, déjà un record historique sous la Vème République).
– Une ville sur deux (53% exactement) a connu une abstention de 36 à 45% : parmi lesquelles des villes comme Bron (69) ou Mérignac (33) qui ont gardé leur confiance à la gauche, mais aussi des communes comme Argenteuil (95) ou Aulnay-sous-Bois (93), ayant basculé à droite.
– Une ville sur trois (34,6%) s’est située entre 45 et 55% d’abstentions : comme Melun (77) ou Saint-Herblain (44).
– Et une sur dix (9,6%) au-dessus de 55% d’abstentions : à l’instar de Vaulx-en-Velin (69) ou de Villiers-le-Bel (95).

D’où un constat clair qui confirme la tendance de ces 20 dernières années : un nombre croissant d’électeurs issus des classes populaires urbaines s’expriment désormais plus par l’abstention que par le vote, parce qu’elles ne se retrouvent guère dans les politiques conduites en leur nom. « L’habitus de l’abstention » traduisant une rupture importante, persistante et inquiétante, avec le système électoral représentatif.
Enfin, comme il a pu être observé à l’échelle nationale, cette abstention manifeste sans doute une déception à l’égard du gouvernement de la gauche ; la droite ayant plutôt mieux mobilisé ses électeurs dans les villes populaires des agglomérations, et le léger surplus de mobilisation ayant plutôt joué en faveur de l’alternance.

2. Une vague bleue sans précédent, mais de moindre ampleur qu’à l’échelle nationale
Qu’en est-il maintenant lorsqu’on observe les résultats politiques du vote ? Si les banlieues ont connu les mêmes « intempéries politiques » que le reste du pays, l’on pourrait parler ici de « tempête » sur les périphéries urbaines quand un « tsunami » balayait l’hexagone.
Signe de cette déferlante : plus de 27% d’alternance politique en faveur de la droite UDI/UMP au sein de l’Association. Avec de violents mouvements de balancier ayant précipité l’effondrement de municipalités aussi ancrées à gauche que Saint-Médard–en-Jalles (33), Saint-Priest (69) ou Athis-Mons (91). Ou bien fait vaciller les villes dont la mixité sociale rendait l’équilibre politique plus incertain : Chelles (77), Aulnay-sous-Bois (93), ou Eragny (95).
Certaines communes, dans lesquelles la gauche est partie divisée ou n’a pas su refaire son unité pour le second tour, sont passées à droite en quelques heures : à Rillieux-la-Pape (69) ou à Mantes-la-Ville (78), seule commune à être tombée dans l’escarcelle de l’extrême droite.
Mais les effets de la sociologie urbaine conjugués à ceux de l’action politique permettent cependant à de nombreux élus de gauche de bien résister à la vague : à Allonnes (PCF- Front de Gauche) Sarthe),  Bègles (Verts, Gironde), Cran-Gevrier (PS, Haute-Savoie), Ivry-sur-Seine (Front de Gauche, Val-de-Marne),  Le Grand-Quevilly (PS, Seine-Maritime) par exemple.
Enfin, dans certaines grandes villes de banlieue acquises à la gauche, les clivages internes entre PS, PC, PG et DVG ont, selon les cas, été sans effet sur le rapport de force initial (Saint-Denis est restée entre les mains du Parti de gauche), ou provoqué une « alternance interne » (Aubervilliers est passée du PS au PC et Vaulx-en-Velin a suivi le chemin inverse), entraînant une redistribution des cartes entre les forces et les partis de gauche, comme à Montreuil où Dominique Voynet avait décidé de ne pas se représenter.

3. Des maires réélus sur leur bilan dans les villes symboles de la politique de la ville
Contrairement à ce qui a pu être souligné par les médias, il est à noter que 38,1% des maires de l’Association ont été réélus au 1er tour (sur approximativement une centaine de communes de banlieues urbaines, les agglomérations adhérentes n’ayant pas encore pu procéder au renouvellement de leur exécutif). Et ce malgré une forte représentation des maires de gauche au sein de Ville & Banlieue, qui aurait pu les exposer à davantage de remise en cause.

Comment interpréter le phénomène ?
Sur les sites les plus emblématiques des difficultés sociales et urbaines – là où les maires se sont engagés non seulement dans la politique de la ville mais aussi dans la rénovation urbaine à grande échelle au cours du dernier mandat – les électeurs ne leur ont-ils pas simplement donné acte du travail accompli ? Ainsi de Catherine Arenou (UMP, Chanteloup-les-Vignes) de Xavier Lemoine (UMP, Monfermeil), Rodolphe Thomas (Modem, Hérouville-Saint-Clair) ou Stéphane Beaudet (UMP, Courcouronnes) respectivement réélus avec plus de 59, 61, 63 et 80% des voix… ; mais également de Jean Touzeau (PS, Lormont), Marc Goua (PS, Trélazé), ou François Asensi (PC, Tremblay en France), ayant de leur côté dépassé les 60, 62 et 68% des voix…
Dans ces villes, tout s’est en effet passé comme si les habitants ayant vu leur ville, leur quartier et leur cadre de vie changer fortement et positivement – avec un aménagement, de nouveaux  espaces et services publics de qualité –  ils l’avaient porté au crédit du maire, quelle qu’ait pu être par ailleurs leur situation au plan de l’emploi ou du pouvoir d’achat.

4. Un vote FN qui s’étend et s’enracine en région parisienne
Le Front national était présent dans 18 triangulaires des 52 élections de 2ème tour au sein de l’Association, soit 34,6% des cas.
Mais sur ce point, c’est la géographie politique qui compte d’abord ; et le vote Front national a suivi dans les banlieues la même pente qu’à l’échelle nationale : le parti d’extrême droite réalisant ses meilleurs scores en PACA, dans la vallée du Rhône ou le nord du bassin parisien  : avec plus de 20% à Gignac-la-Nerthe (13), plus de 25% à Lomme (59) ou à Creil (60), plus de 30% à La-Seyne-sur-Mer (83).
Hors ces territoires d’implantation traditionnelle, le FN était jusque là relativement peu implanté dans les périphéries des grandes agglomérations urbaines, notamment de l’ouest. Phénomène marquant de ce scrutin 2014, il y réalise parfois de bons scores et s’enracine entre 10 et 15 % des voix en région parisienne : à Chelles, Chilly-Mazarin, Créteil, Meulan, Noisy-le-Grand et bien d’autres communes…
Quant à la victoire du Front national à Mantes-la-Ville avec un peu plus de 30% des voix, elle n’aurait pas été rendue possible sans un duel jusqu’au-boutiste entre les deux listes socialistes et divers-gauche qui terminent toutes deux entre 28% et 29%.

5. Un nouvel équilibre droite/gauche dans les banlieues, et au sein de Ville & Banlieue
Compte tenu de ses origines politiques, de la réalité sociologique de ses villes et de l’état du rapport de force droite/gauche dans les banlieues des grandes agglomérations, Ville & Banlieue penchait à gauche dans un rapport proche de 1 à 10. Ce rapport est aujourd’hui de 1 à 3. Quelques-unes de ses figures quitteront donc bientôt ses instances et son président actuel, Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-la-Pape, battu dimanche, devra céder son fauteuil.
Cela n’altèrera pas l’essentiel qui rassemble depuis l’origine, droite et gauche réunies, les élus de Ville & Banlieue : la volonté de représenter les banlieues populaires pour leur permettre de revenir dans le droit commun de la République. Et l’ambition de peser collectivement sur l’élaboration des politiques publiques qui doivent le rendre possible.