Ville & Banlieue n’en a pas (encore) fini avec la réforme de la politique de la ville

L’association d’élus Ville & Banlieue n’a jamais caché son attachement à la loi Lamy portant réforme de la politique de la ville. Montée en puissance des intercommunalités, signature de contrat de ville en fonction d’un projet global de territoire, financements par des moyens de droit commun, etc : plusieurs de leurs idées avaient été reprises par le gouvernement. Mais les élus de ce réseau, réunis jeudi 1er décembre dans la Sarthe, restent perplexes quant à la mise en œuvre de cette réforme.

Programme chargé pour les élus de Ville & Banlieue, ce jeudi 1er décembre à Allonnes (Sarthe). Plus de deux ans et demi après son vote au Parlement, ils se réunissaient afin de dresser un premier bilan de la mise en œuvre de la loi Lamy portant réforme de la politique de la ville. « C’est un moment important alors que nous sommes tous, ici, à mi-chemin de nos mandats municipaux, et que nous nous apprêtons à interpeller sur ce sujet les candidats à l’élection présidentielle » explique Marc Vuillemot, maire (PS) de La-Seyne-sur-Mer (Var) et président de cette association d’élus apartisane.

« Sur le fond, nombre de nos préoccupations ont été reprises dans la loi Lamy. Par contre, la mise en œuvre pêche parfois sur le terrain » euphémise-t-il. Concrètement, Le Mans Métropole a bien créé un service unique de la politique de la ville, par exemple, avec des chargés de mission sur la lutte contre les discriminations ou le développement économique mais aussi des chefs de projets rénovation urbaine.
Le vice-président l’agglomération et local de l’étape, Gilles Leproust, évoque néanmoins « une bataille permanente pour obtenir des moyens dans le contexte actuel de baisse des dotations. »

Solidarité (en théorie) nationale et territoriale
Parallèlement, l’ingénierie de l’Etat local diminue drastiquement. « Quatre communes sont aujourd’hui concernées par la géographie prioritaire dans la Sarthe, contre trois jusqu’ici. Mais, depuis, le nombre de délégués du préfet est passé de trois… à deux » assure Gilles Leproust, premier édile (PCF) d’Allonnes,  qui est aussi secrétaire général de Ville & Banlieue.
Autre point suscitant encore le courroux de l’association : la solidarité nationale et territoriale, les seules à même « de créer les conditions de l’égalité républicaine, qui demeure pour l’heure un mythe dans certains territoires français. » Sous l’impulsion de François Lamy lorsqu’il était encore à la tête du secrétariat d’Etat à la Ville, plus d’une dizaine de ministères et d’associations d’élus s’étaient engagés, par le biais de conventions d’objectifs, à flécher leurs moyens de droit commun vers les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
En l’absence de bilan départemental comme national, force est de constater néanmoins qu’elles ont été plus ou moins traduites dans les faits, et de façon assez variable selon les territoires et l’investissement des préfets pour convaincre les services départementaux de l’Etat.

Renouvellement des conventions : quid du contrôle ?
« C’est bien de signer des conventions. Mais de quels droits de contrôles disposent ensuite les élus locaux et les professionnels pour veiller qu’elles soient correctement appliquées ? Comment dois-je réagir lorsque le représentant local du ministère de la Culture me renvoie vers le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) dès lors que je souhaite financer des actions musicales à Allonnes » s’interroge naïvement Gilles Leproust.
Partant du postulat que la mobilisation des moyens de droit commun de l’Etat avait globalement progressé au cours des derniers mois, le commissaire délégué du CGET à la politique de la ville, Sébastien Jallet, s’est félicité, pour sa part, d’un renouvellement prochain de ces conventions en janvier 2017 : « nous tâcherons d’intégrer ces conventions dans les contrats de ville – via des engagements financiers et opérationnels – afin de mieux les traduire concrètement dans la vie quotidienne des habitants. »
Ville & Banlieue ne questionne pas seulement l’intervention de l’Etat, mais aussi celle des autres collectivités territoriales qui se sont, elles aussi, engagées par le biais de conventions voire, pour la plupart, également signé les contrats de ville. Chefs de file en matière de développement économique, les régions peuvent améliorer le sort des habitants des quartiers prioritaires. Sur l’apprentissage et l’insertion professionnelle, mais aussi la lutte contre le chômage de longue durée, la formation aux nouveaux métiers du numérique ou même le désenclavement par des transports en commun à haut niveau de service ou en site propre, par exemple. Leur implication demeure cependant assez changeante d’une région à l’autre. Certains exécutifs régionaux ne disposent même pas d’élus en charge de la politique de la ville…
Sous tension financière, peu de départements semblent avoir investis la politique de la ville. Les Yvelines ferait figure, au contraire, de bonne élève. « Le conseil départemental s’est impliqué aux côtés de la communauté urbaine afin de jouer un rôle de facilitateur de l’insertion auprès des entreprises du territoire. Nous travaillons davantage sur la formation et le savoir-être des bénéficiaires. Aujourd’hui, nous ne calculons plus en nombre d’heures de chantiers d’insertion réalisées mais en sorties positives, c’est-à-dire en emplois créés » raconte Catherine Arenou, maire (LR) de Chanteloup-les-Vignes.

Appliquer pour de bon la loi SRU
Au-delà de la solidarité budgétaire, cette élue de la région parisienne appelle aussi l’Etat à se donner les moyens de ses ambitions, par exemple en « revenant sur la non-application de la loi SRU. Faute d’être réellement appliquée sur l’ensemble du territoire national, cette loi fait in fine porter le poids de la paupérisation de la société française sur les seuls quartiers prioritaires ! » Sébastien Jallet a tenté de la rassurer : « la loi Lamy sera bientôt complétée par la loi Egalité et Citoyenneté actuellement débattue au Parlement. Elle interpelle les politiques de peuplement dans les QPV et traitent notamment du sujet délicat de l’attribution des logements sociaux. »
Le CGET dit en effet avoir entendu la demande des élus de pouvoir compter sur un cadrage national avec l’intervention de l’Etat central mais aussi plus de souplesse au niveau local. C’est typiquement le cas sur le dossier de la participation des habitants et des conseils citoyens, dont environ deux tiers ont été créés mais qui restent désormais encore à faire vivre sur la durée. « A Strasbourg, nous nous sommes ratés » reconnaît Matthieu Cahn, adjoint (PS) au maire en charge de la jeunesse et vice-président de l’Eurométropole délégué à la politique de la ville. « Nous avions déjà des conseils de quartiers indépendants, paritaires, tirés au sort et autonomes. Nous souhaitions donc les articuler avec les conseils citoyens. Mais l’Etat local n’a rien voulu savoir. Au final, ces nouvelles structures mélangent des semi-professionnels de l’action publique avec de moins en moins de jeunes… »

Conseils citoyens : gare à la démobilisation !
Les élus présents ont pris conscience que les « conseillers citoyens ne souhaitaient pas simplement être témoins, mais acteurs de la politique de la ville. Ils nous le font savoir. Même si certains se sont institutionnalisés voire embourgeoisés, ils bousculent nos habitudes avec une parole brute, libérée » reconnaît Catherine Arenou. « Ils réinterrogent la complexité de notre fonctionnement, de la mise en œuvre de l’action publique. » Même avis pour Mathieu Cahn : « Les techniciens peuvent noyer les élus sous les acronymes de la politique de la ville, mais pas les habitants. Il ne faut pas les polluer avec nos dispositifs, nos procédures de financements, au risque de les démobiliser, mais leur présenter au contraire les enjeux, partir de leurs projets pour renouer un lien de confiance. C’est comme ça que les conseils citoyens deviendront utiles et qu’ils permettront de réfléchir collectivement sur l’avenir du territoire et l’action publique à court, moyen et long-terme.
« Ce qui est confortant à l’issue de cette journée, c’est de voir que nous nous posons tous les mêmes questions, en tant qu’élus de terrains, sur la meilleure manière d’améliorer la mise en œuvre de la loi Lamy » constate Marc Vuillemot. Deux ans et demi après le vote de la loi, les dysfonctionnements repérés ici ou là ne semblent pas conjoncturels ni territoriaux, mais bel et bien systémiques. Le prochain pouvoir exécutif qui sortira des urnes au printemps 2017 aura assurément du pain sur la planche. C’est pourquoi Ville & Banlieue a publié dès septembre 31 propositions pour faire monter en puissance la politique de la ville. A bon entendeur.

Par Hugo Soutra

Article vu sur :
www.courrierdesmaires.fr – du 2 décembre 2016