Au quartier prioritaire Château à Rezé, une émergence de pratiques interprofessionnelles novatrices pour ”aller-vers” les habitants

Photographie de la formation

Formation inter-acteurs sur l’aller-vers

À Rezé, les acteurs du quartier Château-Mahaudières tels que des agents du centre socio-culturel, de la médiathèque ou encore des associations, se déplacent régulièrement pour rencontrer les habitants.

Face aux inégalités, à l’isolement et aux autres difficultés que peut rencontrer le quartier, certains acteurs locaux s’inscrivent désormais dans une démarche ascendante, déambulant dans les rues en quête de la connaissance des besoins, des envies et des ressources des habitants de ce quartier prioritaire.

Le service logement et politique de la ville de la direction des solidarités de la ville de Rezé propose aussi désormais des journées de formations aux professionnels du quartier.

Pourquoi ?

Pour mieux comprendre les besoins du quartier et de ses habitants. Chargés de fournir différents services dans le quartier prioritaire Château, les agents de proximité ont longtemps peiné à entrer en contact direct avec les habitants. Pendant la crise sanitaire, certaines actions ont pu être organisées en dehors des locaux : distributions d’aliments, de jouets, d’ordinateurs, expositions… et elles ont mieux fonctionné ! De ce constat, une conclusion logique : aller dans la rue, au plus proche des habitants, les rendrait plus susceptibles de participer aux actions des associations, centres socio-culturels et animateurs locaux, tandis que d’ordinaire, ils ne se déplacent pas forcément jusque dans les locaux de ces structures. 

À Château, cette conclusion a poussé ces professionnels, avec le soutien de la ville, à pratiquer ce qu’on appelle “l’aller-vers”.  D’une part, parce que les agents de terrain peuvent se sentir illégitimes, voire déconnectés face à des préoccupations différentes des leurs. Ils peuvent ainsi rencontrer certaines difficultés dans l’exercice de leurs professions, notamment lorsqu’il s’agit d’amener les habitants  du quartier Château à en exprimer les besoins spécifiques. D’autre part, lorsque des habitants parfois très isolés se replient sur eux-mêmes, ils n’ont globalement pas tendance à franchir le mur des institutions pour faire part de leurs envies et de leurs demandes. Face à ces situations de non-demande, ces acteurs locaux s’encouragent désormais mutuellement à  “aller vers” le quartier et sa population.

Comment ?

 “Puisque les gens ne viennent pas dans nos salles, nous irons dans la rue!”, annonce Jérôme Guillet – qui a animé la formation interprofessionnelle sur l’aller-vers – en préambule de son livre “Petit manuel de travail dans l’espace public”. Ainsi, les rencontres “hors les murs” avec les habitants de Château se sont multipliées, en coordination avec le CSC, la médiathèque, la ville, les associations locales ou encore France Services. Zones de dons, rencontres inter-habitants, espaces de jeux libres pour les enfants, ateliers créatifs en partenariat avec des associations et médiateurs implantés localement… ces acteurs ont créé des déambulations et des animations de rue variées, pour différents publics et selon différentes thématiques, qui ont lieu dehors, à la sortie d’école, dans les squares, devant le Lidl, auprès des résidences…

Mais des rencontres ponctuelles ne suffisent pas, selon le CSC, à développer assez l’interconnaissance avec les habitants du quartier. Le centre et ses partenaires n’ont donc de cesse de systématiser l’aller-vers/l’aller-dehors, en multipliant les rencontres in situ et en continuant de mobiliser leurs ressources dans la rue. Une démarche qu’ils souhaitent pérenniser afin de conforter leur ancrage et leur utilité dans le quartier. 

Par ailleurs, cette démarche implique des savoir-faire et des savoir-être adaptés au territoire et à ses besoins spécifiques, qu’il convient de transmettre à ses pairs. C’est pourquoi en plus des évènements et activités mis en place dans les espaces publics, les différents partenaires ont organisé des formations interprofessionnelles pour sensibiliser tous les agents concernés, quels que soient leurs métier,  à ces pratiques d’ “aller vers”. Car s’ils occupent des fonctions diverses et variées (animateurs, agents d’entretien, médiateurs, agents d’accueil…), ils exercent sur un même territoire et pour un même public. En 2018 et 2019, deux groupes de professionnels du quartier ont été formés de la sorte, autour d’échanges sur le pourquoi et le comment faire de “l’aller-vers” ponctués par des temps d’observation du quartier. Les retours ayant été très positifs, les professionnels impliqués ont tenu à poursuivre cette expérimentation et à la populariser.

Quel bilan ? 

Les acteurs impliqués disent tous avoir été très satisfaits de la formation interprofessionnelle. Ceux qui discutent désormais quotidiennement avec les habitants du quartier témoignent auprès de leurs collègues, et contribuent ainsi petit à petit à la reconnaissance de ces pratiques. Et ce, y compris dans des secteurs professionnels qui n’y étaient pas forcément habitués auparavant. Les pratiques des agents du quartier ont donc bougé, amorçant une réflexion collective autour de l’aller-vers. Les rendez-vous in situ se multiplient encore à ce jour, et sont intégrés dans l’évaluation du contrat de ville 2014-2022 de la métropole nantaise, laquelle partage et valorise également ce type de démarches. 

Pour le moment, le CSC vient de se voir valider un nouvel agrément pour renforcer son ancrage dans le territoire, ce qui va aider à la pérennisation de ces pratiques déambulatoires. À titre d’exemple, les zones de don bimensuelles comptent, à chaque fois, au moins une trentaine de passages

Le projet en photos

 

 

L’interview de Mme Géraldine Couny-Glochon, coordinatrice de projet CSC, Mme Gaelle Bouguereau, responsable du pôle public médiathèque, et Robin Degrémont, chef de projet politique de la ville sur le quartier Château.

1. Quels constats l’ « aller-vers » a-t-il permis de révéler concernant le quartier Château ?

Mme Bouguereau : À la médiathèque, nous avons remarqué que sa fréquentation par les habitants du quartier château rentre tout juste dans la moyenne de la fréquentation tous quartiers confondus. Pourtant, la médiathèque se situe en plein cœur du quartier, et la moyenne en question demeure relativement basse, à hauteur de 17% environ. À partir de ce constat, nous nous sommes questionnés sur la manière d’ouvrir davantage nos portes aux habitants de Château. Or, aller vers l’extérieur est apparu comme l’option la plus adéquate pour réconcilier les habitants avec le lieu. En partenariat avec le CSC, nous avons pu recruter une médiatrice qui s’est chargée d’aller au contact direct de la population, par le biais d’interviews, façon micro-trottoirs, pour relever les sentiments des habitants vis-à-vis de cette médiathèque. La démarche n’est pas simple, puisqu’avec notre large amplitude d’ouverture et nos nombreuses salles, nous manquons de temps et de moyens humains pour aller à la rencontre des habitants. Mais grâce au financement obtenu par la politique de la ville, notre nouvelle vacataire a pu faire remonter les impressions et les appréhensions des locaux, ce qui nous permet de déconstruire et de démystifier plein de choses.

2. Qu’est-il ressorti de ces interviews dans la rue à propos de la médiathèque ?

Mme Bouguereau : Il ne s’agit pas d’une enquête scientifique, et les résultats sont bien sûr hétérogènes, mais l’élément stéréotypé qui ressort le plus de ces entretiens est que “ça n’est pas pour nous”. Les habitants présentent des biais stéréotypés sur la médiathèque, qui s’adresserait selon eux à d’autres classes sociales. Du coup, ils ne sont pas forcément au fait des activités qui y sont proposées en dehors de la lecture. Nous avons aussi noté qu’ils estiment le système de prêt trop risqué pour eux en cas de perte d’un livre. Tout un tas de raisons qui contrastent tout de même avec le fait que les enfants continuent de fréquenter les lieux, généralement sans leurs parents. Je pense que cela démontre quand même probablement une forme de reconnaissance de la part des parents envers la médiathèque, au moins en tant que lieu de sécurité pour leurs enfants. Sur de telles bases, on peut imaginer des moyens d’augmenter l’attractivité de la médiathèque aux yeux de ces adultes.

3. Et plus globalement, comment fait-on pour faire de l’“aller-vers” sur le territoire ?

Mme Couny-Glochon : Du côté du centre socio-culturel, cela fait presque deux ans que nous travaillons sur le développement de l’aller-vers. Nous avions déjà mené des expériences hors les murs au préalable, en profitant de la localisation du CSC juste en bordure du quartier prioritaire de Château. Les financements obtenus pour les démarches d’aller-vers ont permis la création de deux postes pour renforcer notre présence au cœur du quartier : le mien et celui d’une accueillante. Nous avons ainsi débloqué des créneaux complémentaires pour consolider l’interconnaissance mutuelle avec les habitants du quartier. Un agrément supplémentaire nous a par ailleurs été octroyé en décembre, visant à consolider notre ancrage.

Pour bien faire de l’”aller-vers”, il nous faut aussi mener une large action de veille sociale, l’objectif étant d’être moins déconnectés des réalités du quartier et de ce qu’y vivent les gens. Aujourd’hui, nous sommes très rapidement au fait de ce qu’il s’y passe, mais aussi des envies et des ressources qu’on y trouve, ce qui nous permet de continuer cette transition de l’individuel vers le collectif. 

M. Degrémont : Cette question, comment faire de l’aller-vers, est aussi celle posée dans le cadre de la formation interprofessionnelle sur l’aller-vers. Animée par Jérôme Guillet, qui a pratiqué l’aller-vers et écrit sur le sujet, et dont elle suit les méthodes, elle consacre une journée à tous les partenaires de la ville, avec le concours des associations et bailleurs sociaux du quartier prioritaire. À l’origine, certains de ces acteurs, notamment les bailleurs sociaux et la médiathèque, avaient émis des signalements concernant des difficultés à mener à bien leurs missions, mais aussi au sujet d’incivilités dans le quartier. Si nous avons tous des sensibilités différentes, il nous fallait augmenter le niveau de compréhension interculturelle des agents. La formation vise ainsi à une meilleure compréhension de cette interculturalité et à une prise de distance par rapport à nos systèmes de valeurs et nos représentations, nos postures professionnelles, nos biais… Le tout dans le but de faciliter les dynamiques inter-acteurs sur un même territoire, autour de sujets qu’ils partagent donc en dépit de leurs métiers différents.

Mme Couny-Glochon : Je rajouterais qu’il existe plusieurs formes d’aller-vers. Il y a la démarche d’ “aller chercher”, que l’on applique en faisant du porte à porte, de la déambulation, mais aussi la démarche de laisser venir. Pour laisser venir, il faut créer des conditions optimales pour l’accueil de ces habitants, cela fait partie du projet. 

M. Degrémont : Oui, et il existe aussi une différence entre aller vers un territoire pour y démarcher des services ou des actions, et l’ “aller-vers” désintéressé. La formation promeut une posture d’écoute active de la population, afin que les habitants tout comme les acteurs impliqués puissent lâcher prise dans leurs échanges, ce qui passe, pour nous, par la prise de recul quant à nos cultures personnelles et professionnelles. 

Mme Couny-Glochon : Et de la sorte, nous inversons un peu la prise de risque, car passer la porte d’une institution peut s’avérer compliqué voire intimidant. À la place, nous nous invitons dans le quartier, ce qui nous amène à devoir en appréhender les codes et les modes de fonctionnement, en vue d’une meilleure adaptation sur place.

 

4. Quelles actions ont vu le jour à partir de ces démarches ?

Mme Couny-Glochon : Au CSC, nous organisons plusieurs rendez-vous hors les murs. Nous avons par exemple mis en place des zones de dons. À chaque fois, nous aménageons l’espace public pour accueillir ces rencontres, et nous en profitons parfois pour interpeller les habitants avec des questions directes sur leur santé, leur cadre de vie, leurs vacances… Déjà, rien qu’en aménageant la rue et non pas des locaux institutionnels, on s’inscrit dans une volonté de mieux laisser venir les habitants, et donc dans une dynamique d’”aller-vers”. 

Les gens nous parlent de leurs conditions de vie, d’habitat, de voisinage, mais aussi des loisirs et des animations, puisqu’ils savent désormais qui nous sommes et ce que nous pourrions leur proposer au centre socio-culturel. Nous prenons note de ces retours ainsi que de la fréquentation de nos activités, pour prendre du recul sur notre travail et nos résultats. 

Nous sommes également à l’écoute des problèmes que vivent ces habitants. Il en ressort souvent certaines formes de solitude. Nous devenons des interlocuteurs à part entière. Ensuite, nous cherchons à comprendre comment mieux accompagner ces habitants en fonction de leurs besoins. Par exemple, nous avons remarqué des situations d’isolement et de repli sur soi encore plus marquées chez les séniors du quartier, ce qui nous a permis d’organiser une rencontre à partir de ces simples discussions individuelles. Il s’agit globalement d’un modèle ascendant : parfois, un “bonjour” suffit à libérer la parole sur des sujets essentiels ! C’est un travail quotidien, qui nous apprend à être moins hors-sol et déconnectés face à ce qu’on ne vit pas nous mêmes et à relativiser nos propres parcours.

5. Qu’en est-il de l’avenir de ces démarches, quels sont vos objectifs à venir sur ce projet ?

Mme Bouguereau : Déjà, le principal objectif est la poursuite de ces efforts et de leur mise en pratique efficace. Cela pose la question des moyens humains et du temps dédié, qui demeurent limités malgré les progrès réalisés. L’autre enjeu réside aussi dans la reconnaissance de ces pratiques. Ayant déjà travaillé dans des centres sociaux, ce type de réflexion était déjà plus spontané pour moi que pour certains collègues, par exemple de la médiathèque. Alors il s’agit aussi de convaincre et d’impliquer ses pairs, de faire bouger les pratiques et faire valoir ce sentiment d’utilité. L’ « aller-vers » ne va pas de soi aujourd’hui. Cet enjeu de reconnaissance est donc essentiel, et pour ce faire il faut continuer de faire face aux questionnements sur nos légitimités respectives, sur le temps qu’on y consacre… L’objectif à long terme est aussi de bousculer les positionnements professionnels habituels.

Mme Couny-Glochon : Et en effet, notre travail présente déjà l’intérêt d’avoir posé les bases d’une réflexion commune. Nous faisons naître un ensemble de démarches partagées par différents professionnels, créons petit à petit un semblant de maillage dans le territoire. Il faut trouver les moyens de généraliser ces pratiques, sans rentrer dans l’injonction ou la culpabilisation auprès des acteurs qui ne pratiquent pas encore l’ « aller-vers ».

M. Degrémont : Tout à fait, et ce dans le sens où tous les professionnels concernés ne sont pas encore en mesure de faire de l’ « aller-vers ». Un tel projet se construit sur le temps long, en gardant à l’esprit l’objectif principal d’une meilleure compréhension des habitants et du quartier. Nous visons à la continuité du développement de ces compétences collectives, notamment grâce aux associations qui s’installent dans le quartier et qui ont déjà des savoir-faire précieux. En effet, certaines associations, par exemple de boxe ou de tri des déchets, implantées dans le quartier pratiquent déjà l’ “aller-vers”, et nous comptons bien nous appuyer sur leurs expériences et leurs vécus.

©Crédit photos : Mairie de Rezé

 

Fiche d'identité de la communeLe projet en chiffresPour aller plus loin
  • Nom : Rezé
  • Département : Loire-Atlantique
  • Région : Pays de la Loire
  • Population : 42 993 habitants (en 2020).
  • Maire : Agnès Bourgeais
  • Site internet : Site de la ville
  • 2015 : Mise en place de porteurs de parole pour créer les conseils citoyens issus de la loi Lamy, ce qui a permis d’agréger des citoyens au projet.
  • 2018-2019 : Premières formations interprofessionnelles sur la gestion de conflits et l’interculturalité, puis sur l’aller-vers à Château.
  • En moyenne, une trentaine de passages sont recensés à chaque zone de dons (qui ont lieu deux fois par mois).
  • En moyenne, 24 enfants et 6 adultes se rendent à chaque fois à la Fabrik à jouer, espace de jeux libres pour les enfants organisé en plein air à la sortie d’école.
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