VVV / aide à la mobilité internationale : et si l’on essayait de ne pas tout mélanger ?

Les mots ont-ils encore un sens ? Faute de s’en préoccuper, le ministère de la ville et son bras armé, le CGET, risquent fort de s’attirer des foudres républicaines et d’allumer l’une de ces discordes dont nous gagnerions tous à faire l’économie. De quoi s’agit ? Retour sur une possible et regrettable confusion des genres.

Rappel de faits bien connus : pour des raisons d’abord financières, les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) partent peu en vacances. Ainsi 25% des jeunes de 5 à 19 ans, soit trois millions d’enfants, ne sont pas partis en vacances en 2011, selon une étude de l’OVLEJ rapportée par l’Observatoire des inégalités. Et la moitié des enfants des familles aux revenus modestes (moins de 1 500 euros nets mensuels), enfants d’agriculteurs, d’ouvriers et d’employés ou de personnes sans emploi, étaient dans ce cas cette même année. Face à ce phénomène, les études montrent que les aides au départ sont très mal réparties, au détriment des ménages les plus pauvres et des enfants des classes moyennes dont les parents ne bénéficient pas de comités d’entreprise.
C’est pour remédier quelque peu à cette injustice (et pour éviter « les étés chauds » dans les QPV) que le ministère de la ville propose depuis 35 ans des aides au départ en vacances, baptisées « Ville, vie, vacances » (VVV). La circulaire envoyée récemment aux préfets par le directeur de la ville et de la cohésion urbaine, en rappelle opportunément les contours : les publics prioritaires sont les jeunes de 11 à 18 ans des QPV « éloignés de l’accès aux loisirs et aux vacances », dans le respect attendu de la parité filles/garçons, les publics orientés par la protection judiciaire de la jeunesse, la prévention spécialisée, l’aide sociale à l’enfance, l’administration pénitentiaire et le programme de réussite éducative. La circulaire précise encore que des exonérations de charge peuvent être accordées aux porteurs de projets proposant des chantiers éducatifs. Résultat : moyennant une aide de l’État de l’ordre de 9 millions d’euros (venant s’ajouter à celles de la CAF, des départements et des communes) 400 000 jeunes bénéficient du dispositif, dont les ¾ sont issus des QPV.

Rappel d’autres faits, moins souvent évoqués, mais tout aussi dommageables : s’il existe aujourd’hui un certain nombre de dispositifs, notamment portés par l’Europe, permettant à des jeunes d’élargir leurs horizons, ces opportunités sont également très inégalement réparties parmi les jeunes, selon leurs origines sociales et territoriales. Ainsi, si 100% des élèves des écoles d’ingénieurs partent à l’étranger, ils sont à peine 5% des étudiants d’Université et moins encore parmi ceux qui suivent une filière courte. Quant aux 35 000 étudiants ayant bénéficié d’Erasmus ces dernières années, l’aide moyenne qui leur a été apportée avoisinait les 272 € mensuels, loin du budget nécessaire à cette expérience de mobilité : rien d’étonnant par conséquent à ce que ceux qui en ont effectivement bénéficié se soient recrutés, pour l’écrasante majorité d’entre eux, parmi les enfants des classes favorisées.
Là encore, il paraît conforme à l’idée de justice que de vouloir « favoriser une première expérience de la mobilité internationale pour les jeunes des quartiers populaires » ainsi que le proposait le CIEC du 6 mars 2015, quelques semaines après les attentes de janvier 2015. Dans les faits, ainsi que le précise le compte rendu récapitulatif du CIEC du 26 octobre, « qu’il s’agisse d’une formation, d’un temps d’études, d’un volontariat, d’un échange interculturel ou d’un stage, elle permet aux bénéficiaires d’élargir leurs perspectives, d’enrichir leur CV et leur réseau ». Concrètement l’action mise en place en 2015 a d’ores et déjà permis de financer 175 projets bénéficiant à 1 721 jeunes pour un montant global de 510 000 euros grâce à un partenariat entre le CGET et… l’Agence nationale des chèques vacances (ANCV).

Nous y voici. De quoi s’agit-il en réalité ? De séjours d’une durée moyenne de 7 jours, « séjour au ski » en Pologne ou « séjour culturel » en Espagne : en somme de vacances culturelles ou sportives à l’étranger, dans l’esprit même de ce que peuvent déjà financer les opérations VVV. Et alors, vrai problème  ou mauvaise querelle, puisque les jeunes partent effectivement à l’étranger ? Maires de banlieues populaires, nous ne pouvons nier l’agrément et le bien-être qu’apportent de tels séjours aux jeunes qui en bénéficient. Mais nous savons aussi ce que pèsent dans nos quartiers le chômage des jeunes, leur errance ou leur désarroi. Devant cette urgence sociale, nous leur devons plus que des vacances et demandons ici qu’on corrige promptement le tir. Des références existent déjà en la matière, comme celle de la mission locale du Grand Besançon, pilote d’une expérimentation rapportée par le Céreq[1], « de mobilité internationale comme outil d’insertion », opération comportant un accompagnement pédagogique et organisée autour de 3 options identifiées : l’acquis linguistique, l’acculturation au pays de destination, la sensibilisation aux valeurs civiques… Les séjours de mobilité internationale proposés aux jeunes des quartiers doivent ainsi être recentrés sur de vrais acquis comportementaux, linguistiques, culturels, civiques et citoyens, humanitaires. Ils doivent s’inscrire dans une logique de projet en résonnance avec les valeurs de l’éducation populaire et faire l’objet d’une co-construction avec les jeunes concernés.
L’Europe élargit dans le cadre de sa stratégie « Europe 2020 », les mesures en faveur des jeunes avec moins d’opportunités (JAMO) et augmente de 40% le budget d’Erasmus+, y intégrant les actions d’éducation non formelle et de volontariat.
Ministre responsable de la Jeunesse et des Sports et du Plan Priorité jeunesse, Patrick Kanner a, dans d’autres circonstances, abondé en ce sens. Alors que des référents de la mobilité internationale dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville vont être désignés par les préfets dans le cadre des comités régionaux de la mobilité européenne et internationale des jeunes, le moment est venu de recadrer la mise en œuvre de cette mesure. Par respect des valeurs qui nous portent autant que par devoir d’efficacité.

[1] « Faciliter la mobilité internationale des jeunes en mission locale ou en apprentissage »,
rapport d’évaluation publié par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) avec le concours du Céreq, 2012