Lettre au Premier ministre, suite à la Conférence Nationale des Territoires du 14 décembre à Cahors (Lot)

 

 

 Lyon, le 15 décembre 2017

 

 

Monsieur Édouard PHILIPPE

Premier Ministre

Hôtel de Matignon

57 rue de Varenne

75007 PARIS

 

Monsieur le Premier Ministre,

 L’Association des maires Ville & Banlieue de France est satisfaite d’avoir été intégrée à sa demande dans « l’instance de dialogue » de la Conférence nationale des territoires (CNT). Elle considère, en effet, y avoir sa place pour représenter la spécificité des territoires urbains fragiles, au même titre que d’autres associations d’élus portent dans cet espace d’échanges avec le Gouvernement les voix d’autres collectivités aux enjeux particuliers : celles des zones rurales, des petites et moyennes villes, des métropoles, etc.

Conviée pour la première fois à l’occasion des travaux qui se sont déroulés à Cahors (Lot), elle a tenu à prendre part à cette rencontre, tout en étant solidaire de la position « d’observateur » décidée par l’Association des Maires de France avec laquelle elle coopère en permanence, car elle refuse avec elle l’effort énorme de 13 milliards d’euros imposé aux collectivités pour contribuer à la réduction du déficit public, la perte d’autonomie fiscale résultant des dégrèvements de taxe d’habitation, et surtout les impacts de deux mesures qui sont considérables pour les communes abritant des quartiers populaires urbains prioritaires : la diminution du nombre des emplois aidés et la mise en péril des organismes d’habitat social.

Sur le contenu des annonces financières du Gouvernement lors de la réunion de la CNT de ce 14 décembre, Ville & Banlieue, dont les communes membres sont pourtant parmi les plus rompues aux contractualisations avec l’État, depuis les premières conventions de développement social des quartiers des années 80 jusqu’aux actuels contrats de ville et programmes de rénovation urbaine, ne peut accepter en l’état les modalités de la « contractualisation » que le Gouvernement veut proposer aux 340 communes et intercommunalités dont les budgets de fonctionnement atteignent 60 millions d’euros.

Outre le fait qu’elle paraît singulière dans une démarche contractuelle entre l’État et des collectivités supposées pouvoir, au sens constitutionnel, s’administrer librement, la « menace » de reprise financière au cas où l’évolution positive des dépenses de fonctionnement excèderait 1,2% entre 2017 et 2018, ne doit pas s’appliquer de façon uniforme à l’ensemble des 340 collectivités concernées.

De la même manière que les Départements verront la croissance du budget qu’ils dédient aux allocations individuelles de solidarité (AIS) exclue du calcul de l’évolution de leurs dépenses de fonctionnement, celles des 340 collectivités qui abritent des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) doivent voir exclus de ce calcul certains de leurs accroissements de dépenses, notamment :

  • ceux inhérents aux contributions communales aux dispositifs imposés ou impulsés par l’État pour la mise en œuvre de la politique de la ville, des politiques prioritaires comme celles de l’éducation (dédoublement des classes de réseau d’éducation prioritaire [REP], actions périscolaires dans les QPV, programmes de réussite éducative, etc.), l’accès à l’insertion professionnelle, ou la sécurité (zones de sécurité prioritaire [ZSP], actions des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance [CLSPD] ou soutenues par le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation [FIPD], etc.), etc ;
  • ceux découlant de la compensation totale ou partielle pour des acteurs, notamment associatifs, des politiques publiques menées sur les QPV, des désengagements d’autres collectivités de dispositifs concourant à la politique de la ville (prévention spécialisée, action socio-éducative, dispositifs d’insertion, etc.) ;
  • ceux pouvant résulter de l’application des garanties d’emprunts consenties à des bailleurs sociaux qui seraient en difficulté du fait des dispositions de la loi de finances relatives au logement social ;
  • et, plus généralement, toutes dépenses de fonctionnement liées à l’accompagnement social des habitants des QPV et à la rénovation urbaine.

Vous nous avez par ailleurs indiqué (courriel de votre cabinet en date du 12 courant), en réponse à la condition que nous avions posée à notre participation à la séquence cadurcienne de la CNT, que le Gouvernement a déposé un amendement au projet de loi de finances pour prendre en compte la particularité de nos territoires urbains fragilisés.

S’il s’agit de celui ajoutant 20 millions d’euros au budget dédié à la dotation de solidarité urbaine (DSU), nous en prenons acte. Mais il ne revêt qu’un caractère presque symbolique, l’objectif raisonnable à viser ayant été plutôt de l’ordre de 90 millions pour la DSU et la dotation de solidarité rurale (DSR). Et cette mesure est d’autant moins significative que le budget afférent n’est constitué que par prélèvement sur les compensations de l’État des exonérations de taxes foncières sur le logement social ; ce qui signifie que, pour les collectivités qui font effort de production de logements sociaux, l’État va prendre d’une main ce qu’il aura donné de l’autre !

Il y a certes urgence, mais il est encore temps, au regard du calendrier de la deuxième lecture du projet de loi de finances :

  • d’agir sur la péréquation verticale (et horizontale, du fait des nouveaux périmètres intercommunaux, en particulier en Île-de-France, où certaines communes pauvres vont désormais « payer » pour d’autres communes pauvres !) ; en particulier, outre l’abondement de la DSU, il serait pertinent de garantir d’un fonds de péréquation intercommunal (FPIC) réellement à 2% des recettes fiscales pour compenser la diminution des compensations d’exonérations des impôts directs locaux ;
  • de conforter la dotation politique de la ville (DPV) en répondant au besoin de 50 millions d’euros permettant de porter son budget à 200 millions, pour prendre en compte les besoins de financement de cette dotation pour les communes de moins de 10.000 habitants qui vont désormais pouvoir en bénéficier ;
  • d’agir sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable au logement social et au logement intermédiaire si, notamment, vous considérez avec nous l’importance de l’enjeu de la mixité sociale ;
  • de créer un budget consacré à l’aide aux communes pour les investissements nécessaires à la réalisation et l’équipement des salles de cours nécessaires à l’application de la mesure décidée par l’État de dédoublement des classes de CP et CE1 dans les REP et REP renforcés (REP+), puis à leur fonctionnement (fluides, entretien, sécurisation, etc) ;
  • d’agir pour une modification de l’article 52 sur les mesures liées à la baisse des allocations personnalisées au logement (APL), par exemple en dégageant des moyens par une stratégie de mise en place de « curseurs » évitant que certains locataires d’HLM, notamment en zones distendues, n’aient un reste à charge de loyer quasi nul, et/ou d’adoption d’un dispositif de « malus » permettant l’abondement du fonds national d’aide à la pierre (FNAP) opéré par prélèvement sur les fonds de roulement des bailleurs qui n’entretiennent ou n’améliorent pas leur parc, etc. ;
  • et, naturellement, pour simplement atteindre l’objectif annoncé de porter de 6 à 10 milliards le budget de la rénovation urbaine, en ajoutant, pour l’année 2018, environ 185 millions d’euros aux lignes actuellement dédiées.

Vous comprendrez que, si, comme il est à craindre, l’amendement du Gouvernement que vous nous avez annoncé ne prenait pas en compte les inquiétudes ci-dessus évoquées, les nouvelles annonces relatives au Contrat financier de mandature s’y ajoutant, la loi de finances 2018 pourrait être dévastatrice pour nombre de nos communes, donc pour les 5 millions de nos concitoyens les plus humbles qui y résident.

Nous avons de notre côté pris l’engagement de porter auprès des institutions publiques les espoirs des acteurs de la politique de la ville (élus, acteurs du monde associatif, social et économique, etc.) tels qu’exprimés par « l’appel de Grigny » d’octobre dernier que l’État a indiqué avoir entendu.

Nous espérons donc en urgence, car cela ne peut se faire qu’au travers de la loi de finances, et non par quelque promesse de solution à imaginer ultérieurement par voie règlementaire, un effort de solidarité nationale en faveur des collectivités accueillant des QPV, combinant :

  • des effets sur les dotations, la péréquation, le logement social, la rénovation urbaine et l’accompagnement social ;
  • des effets sur les modalités de calcul de la progression positive des dépenses de fonctionnement excluant les charges liées à la politique de la ville et l’accompagnement des résidents des QPV.

Comme nous en avons pris l’engagement en réponse la proposition de Monsieur le Président de la République, nous demeurons disposés à « co-construire » la « nouvelle saison » de la politique de la ville. Un travail partagé autour des points soulevés par la présente peut être l’occasion de la concrétisation de cette volonté.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre très haute considération.

Le Président

Marc Vuillemot

Maire de La Seyne-sur-Mer

 

 

 

 

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