Retour sur notre enquête : «Éducation dans les quartiers de la politique de la ville»

Retour sur notre enquête : L’éducation dans les quartiers de la politique de la ville 

L’Association des maires Ville & Banlieue de France a rendu publiques les conclusions de son enquête sur l’éducation dans les quartiers politique de la ville.

Les maires déplorent un manque de moyens et aspirent à peser davantage sur la politique de la ville. Analyse des résultats.

L’Association des maires Ville & Banlieue de France vient de rendre publique l’enquête qu’elle a lancée auprès de ses adhérents en juin 2016. L’objectif ? Replacer les enjeux éducatifs au niveau territorial et donner la parole aux maires des villes concentrant des quartiers en politique de la ville (QPV) pour préparer une rencontre entre l’association, et les ministères de l’Education nationale et de la Ville.

« Nous avons remis les résultats de l’enquête à Hélène Geoffroy, secrétaire d’Etat chargée de la ville, le 6 septembre 2016, et la date de la réunion n’a toujours pas été fixée. Nous espérons que ces conclusions pèseront lors du renouvellement des conventions triennales interministérielles qui doit intervenir en 2017 », confie Sylvie Thomas, déléguée générale de l’Association des maires Villes et Banlieue de France.

L’expérience des élus
« Alors que l’éducation apparaît -dans la plupart des prises de positions des responsables politiques et des plans d’action publiés depuis les attentats de 2015 au premier rang des réponses à apporter aux phénomènes de radicalisation des jeunes, cette enquête permet de confronter, dans ce domaine crucial, les orientations gouvernementales et l’engagement de l’Éducation nationale, à l’expérience des élus des villes populaires des agglomérations urbaines, et de leurs quartiers les plus vulnérables », peut-on lire en avant propos de la synthèse de l’étude.

Des acteurs impliqués
Premier constat : les communes en politique de la ville sont devenues des acteurs à part entière de l’éducation. Les trois quart des villes interrogées déclarent apporter sur leurs fonds propres un appui particulier à l’enseignement en temps scolaire dans les écoles des QPV : 42% y apportent des moyens culturels et sportifs importants, et 15% fournissent un soutien financier direct aux projets pédagogiques des établissements, tandis que presque les deux tiers soutiennent les collèges et lycées en QPV en matière culturelle, sportive, mais aussi de prévention, d’orientation et de citoyenneté.
Elles attendent donc en retour que l’Education nationale s’implique dans les stratégies éducatives des territoires. Ainsi, à propos de la réforme des rythmes éducatifs, un gros tiers des villes interrogées considèrent que le partenariat entre les acteurs éducatifs peut être encore amélioré, et un quart regrette que des temps communs entre l’école et la ville ne puissent être trouvés, ainsi qu’une propension à considérer la ville comme un « guichet ».

Doutes sur la réforme des rythmes
La réforme des rythmes scolaires a-t-elle bénéficié aux enfants issus des quartiers politiques de la ville ? Les résultats de l’enquête laissent planer le doute. Les villes interrogées sont 84% à juger que les moyens de la réforme ne sont pas suffisants pour à la fois proposer des activités de qualité et maintenir la gratuité.
Au plan pédagogique, elles en attendent une « évaluation rigoureuse pour en apprécier les effets réels » sur, notamment, la « compensation des handicaps socioculturels et des écarts sociaux de performance scolaire ».

Ajustement de la carte de l’éducation prioritaire
Les villes interrogées regrettent aussi la rigidité de la carte de l’éducation prioritaire, qui ne peut être ajustée en fonction des « anomalies » signalées par les élus locaux ou les chefs d’établissement.
Ainsi, le fait qu’une école ne puisse pas être rattachée à un réseau d’éducation prioritaire si son collège de rattachement ne l’est pas n’est pas pleinement satisfaisant.
« Les collèges peuvent certes s’avérer plus mixtes et accueillir des publics de QPV en même temps que d’autres socialement moins défavorisés et des écoles se trouvant objectivement dans une situation difficile ne peuvent bénéficier des moyens de l’éducation prioritaire si leur collège de rattachement ne connaît pas les mêmes difficultés », relève l’enquête.

Pas assez de moyens pour la scolarisation précoce
Autre sujet majeur pour l’Association des maires Ville & Banlieue de France : la scolarisation précoce. Il s’agit pour les villes de banlieue populaires, d’un « enjeu décisif ».
De fait, les trois quart des répondants cherchent à rapprocher les structures petite enfance des écoles maternelles par des actions conjointes ou des dispositifs spécifiques comme les classes passerelles.
Elles ne font en revanche pas la course aux chiffres, conscientes des conditions de réussite d’une scolarisation précoce : des locaux suffisants et adaptés, un personnel d’accueil qualifié, des effectifs réduits, une prise en charge individuelle et progressive, une offre de qualité pédagogique, l’implication des parents…
72% des villes interrogées ne peuvent assurer totalement la scolarisation des 2/3 ans, faute d’accès à ces prérequis, et en dépit des objectifs affichés par le gouvernement. « Des moyens financiers doivent être dégagés – dans le cadre de la rénovation urbaine ou de la politique de la ville- pour permettre aux communes en contrat de ville d’adapter leurs écoles maternelles », souligne l’association, qui note également le besoin de convaincre les parents les plus éloignés de l’école des bienfaits de cette scolarisation précoce.

Vers un risque d’une sécession urbaine
Enfin, si les villes interrogées affichent leur impuissance à lutter contre la ségrégation urbaine, elles aimeraient apporter des solutions à la ségrégation scolaire qui en découle, se disant prêtes, pour certaines, à mettre en place un observatoire local ou à retravailler la sectorisation de leurs collèges.
De plus, près des deux tiers des communes ayant répondu à l’enquête constatent le développement d’une offre d’accompagnement scolaire communautaire émanant d’associations se présentant à la fois comme cultuelles et culturelles.
Dans la moitié des cas, ces associations agissent hors de tout dispositif, sans convention de partenariat avec l’école, sans solliciter de financements de la ville, de la CAF ou de l’Etat. Quel est alors le risque ? « Celui d’une sécession urbaine et culturelle volontaire, soustrayant progressivement les familles et les élèves à toute forme de dialogue avec les pouvoirs publics », souligne les auteurs de l’enquête.
Or, regrette l’association des maires Ville & Banlieue de France, 42% des villes seulement ont mené une action de réflexion collective sur les principes de laïcité avec les parents, et sans doute trop timide (affichage, ou distribution de la charte de la laïcité).
« Dans une école devenue « monocolore », il peut être difficile, délicat, voire provocateur et contre-productif, d’enseigner et d’expliquer la laïcité », regrette l’association.
Même si les résultats de l’enquête sont à prendre avec des pincettes en termes statistiques, puisqu’un quart seulement des adhérents (19 villes) ont pris le temps d’y répondre, ses conclusions donnent à réfléchir sur l’écart entre les grands discours politiques et les actes à hauteur du territoire.

Article vu sur :
La Gazette des Communes. Par Michèle Foin, publié le 13 octobre 2016