Le point sur la Refondation de l’École

La Réforme de l’École avait été solennellement annoncée durant la campagne électorale de 2012, résumée par un chiffre se voulant symbolique de toute l’ambition : la restauration de 60 000 postes dans l’éducation. Orchestrée par Vincent Peillon, elle avait connu un démarrage fastueux sous les lambris du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne dès juillet 2012 en présence de quatre autres ministres. Elle a voulu se relancer et se réinterroger la semaine dernière au cours d’une rencontre-bilan mobilisant surtout la hiérarchie éducative et ses partenaires institutionnels, présentée par la presse comme un grand exercice de communication politique. Nous avons voulu revenir sur le travail accompli depuis 4 ans et saisir l’occasion effective d’un bilan d’étape, autour de quelques enjeux décisifs pour les villes de banlieue et les enfants des quartiers populaires.

Une communication globalement brouillée ? Ce devait être l’un des chantiers majeurs du quinquennat. Et la communication du ministère ne s’est pas montrée avare d’explications détaillées, de schémas pédagogiques, de synthèses, de répertoires et de calendriers, de logos et de visuels identificateurs, tous très bien conçus. La vaste réforme Peillon a d’emblée été noyée sous le déluge des contestations quant à l’aménagement des rythmes scolaires ; le bilan de George Pau-Langevin écorné par la disparition du terme même de « réussite éducative » du programme officiel de ses successeurs ; le mandat de Benoît Hamon compromis par sa brièveté même et sa difficulté à faire entendre un message propre ; la trajectoire de Najat Vallaud-Belkacem mal comprise, affichant aujourd’hui une satisfaction personnelle (« L’École va mieux ») loin de faire l’unanimité.
Force est donc de constater que l’ambition, la cohérence, le projet collectif pour l’École de la République sont passés au second plan, et que les inquiétudes des familles ne se sont pas toutes dissipées. Tous les établissements se valent-ils ? Les enseignants absents sont-ils aujourd’hui mieux remplacés ? Les élèves en difficulté sont-ils mieux accompagnés à l’école primaire et dans le collège de demain, notamment au sein des réseaux d’éduction prioritaire ? L’aménagement des rythmes scolaires et la scolarisation précoce faciliteront-ils les apprentissages ? Qu’apporte la charte de la laïcité à l’école ? Comment l’École peut-elle mieux préserver les jeunes des dérives délinquantes ou sectaires ? Les nouveaux cycles, programmes et diplômes fourniront-ils une meilleure assurance contre la précarité professionnelle et sociale ? Enfin, comment, nous parents, pouvons-nous mieux jouer notre propre rôle au sein et aux côtés de l’école pour éduquer les enfants et les aider à réussir ? Les questions perdurent en effet, et il convient d’examiner au cas par cas dans quelle mesure les réformes récentes y ont, ou non, apporté un début de résolution.

Refaire consensus social autour de l’Éducation.
Si « l’endogamie » du colloque des 2 et 3 mai – réservé aux promoteurs de la Refondation de l’École et à ses maîtres d’œuvre et tenu à l’abri de tout débat public – a choqué l’opinion, c’est qu’un constat s’impose aujourd’hui : les réformes éducatives ont besoin d’être comprises, « appropriées » et partagées par toutes les parties prenantes pour donner leur pleine mesure. Et le système éducatif doit faire l’objet d’un large consensus social pour remplir ses missions de formation des citoyens et des acteurs économiques. D’où les propos de Vincent Peillon évoquant un chantier enjambant les échéances électorales. D’où son opiniâtreté à défendre le principe d’instances éducatives indépendantes avec le CSP (pour les programmes) et le CNESO (évaluation). D’où les propos convergents de Michel Lussault (Institut Français d’éducation) et d’Yves Durand (Comité national de suivi de la loi de refondation) sur l’insuffisante appropriation de la loi par les enseignants, leur scepticisme par rapport à certaines orientations (de la réforme du collège par exemple) ou leurs difficultés à les traduire pédagogiquement. D’où enfin, le discours du Premier ministre évoquant la nécessité de « nouvelles alliances éducatives ». Chacun en est désormais conscient : institutions, enseignants et personnels non enseignants des établissements, collectivités locales, acteurs de la formation professionnelle et du monde économique, parents, élèves eux-mêmes… doivent pouvoir adhérer, faire confiance et trouver leur place, pour tirer le meilleur parti du nouveau système. Son efficacité locale comme sa revalorisation globale à l’échelle internationale (du classement PISA) sont l’une et l’autre à ce prix.

Moyens humains : que montrent les chiffres ?
Le Président de la République s’était donc engagé début 2012 à créer 60 000 postes dans l’éducation au cours de son quinquennat : 5 000 réservés à l’enseignement supérieur, 1 000 à l’enseignement agricole, et 54 000 dans l’enseignement général et professionnel, se décomposant ainsi :

Tableau Art refondation ecole

Où en sommes-nous aujourd’hui relativement à ces annonces ? Depuis 2012, 42 338 postes ont été créés (chiffres de janvier 2016), dont 4 326 en 2012, 9 076 en 2013, 8 804 en 2014, 9 421 en 2015 ; et 10 711 sont programmés pour 2016, 11 662 postes restant à ouvrir en 2017.

Qualitativement, 19 328 postes ont été créés dans le premier degré, contre 17 059 dans le second degré. 10 551 sont des postes de titulaires et 25 937 des postes d’enseignants stagiaires, consécutifs à la remise en place d’une formation professionnelle initiale des enseignants reçus aux concours. Et pour corriger cette « anomalie », le ministère annonce que l’essentiel des créations en 2017, prévues dans le PLF 2017, concernera des postes de titulaires.

S’agissant des postes non enseignants, les 5 850 postes créés se répartissent comme suit :

  • Accompagnement du handicap (AESH) : 2 900
  • Assistants d’éducation : 2 150
  • Administratifs : 300
  • Médico-sociaux (médecins, infirmières, assistantes sociales) : 400
  • Autres (dont CPE titulaires) : 100

Une fois les chiffres alignés, deux questions demeurent : ces indiscutables créations de postes ont-elles vraiment bénéficié aux élèves de l’école primaire, ainsi qu’il avait été promis ? Et ceux des quartiers populaires, davantage concernés par les retards, l’échec, le décrochage scolaires, en ont-ils bénéficié plus que les autres ?

Priorité au primaire ? Pas si simple à mettre en oeuvre…
En effet, il n’est pas sûr que ces nouveaux postes aient été affectés à l’objectif prioritaire affiché par les ministres successifs. Et d’abord parce qu’il y avait trop d’urgences et de priorités à satisfaire : former les nouveaux enseignants, remplacer les absents, faire face aux besoins démographiques issus du baby-boom du début des années 2 000 affectant déjà le collège et le lycée… Dans ces conditions, les mesures les plus symboliques ont eu un effet plus modeste que prévu. 20,6% des enfants de 2/3 ans inscrits dans la géographie prioritaire sont effectivement scolarisés au lieu des 30% prévus. Et seulement 2 300 postes (sur les 7 000 prévus) ont été créés pour les enseignants surnuméraires (dispositifs « plus de maîtres que de classes »). Comme le dit Yves Durand, la priorité au primaire est « réelle mais encore peu visible » compte tenu de l’inévitable dispersion des moyens. Et le rapport d’évaluation, dont il a présidé les travaux, recommande pour conforter l’enseignement du premier degré, d’amplifier le partenariat avec les collectivités locales à travers des agendas communs et une mutualisation des moyens éducatifs au sein des PEDT.

Éducation prioritaire : à défaut de mixité, un peu plus de justice dans l’affectation des moyens.
La gauche a-t-elle renoncé à l’une de ses valeurs phares ? C’est que, dans une société où la résidence commande l’affectation scolaire, la mixité scolaire reste à la remorque de la diversité ou de l’uniformité résidentielle. Or, on sait ce qu’il en est des quartiers de la politique de la ville. Hésitant à accentuer la contrainte sur ceux qui parviennent  à contourner la carte scolaire, elle s’est contentée d’encourager les départements volontaires à travailler la question à l’échelle des collèges (une vingtaine d’entre eux se sont lancés dans l’expérience). Dans le même temps, le ministère s’est dessaisi, avec la réforme du collège et l’abandon des classes bilangues, d’outils possibles de la différenciation positive des établissements de banlieue. En conséquence de quoi la mixité a été rangée parmi ces vœux pieux que l’impuissance politique impose de faire discrètement oublier. Dans ces conditions, la carte des ZEP a été revue à la marge et les moyens concentrés sur 350 REP+, bénéficiant de meilleures dotations et dont l’attractivité professionnelle a été revalorisée à travers les conditions faites aux enseignants qui y sont affectés (en termes de formation, de temps de service et de rémunération). Il reste que l’amélioration relative de leurs performances scolaires comme leurs capacités à y accueillir les enfants des classes moyennes ne se jugeront qu’à plus long terme.

Collège unique : une réforme au forceps, mais pour quels bénéfices ?
Les constats sont assez partagés dans ce domaine : au delà de tout point de vue idéologique sur le « collège unique », celui-ci n’a pas permis de lutter contre l’échec d’un fort pourcentage de collégiens, ni contre les inégalités sociales face à la réussite scolaire. Or la réforme qui rentrera en application dès septembre 2016 continue de nourrir interrogations et polémiques : que feront les établissements de leur autonomie sur les 20% horaires qui restent à leur main ? Quid des nouveaux « accompagnements personnalisés » et des enseignements en petits groupes ? Et du bénéfice éducatif des nouveaux « enseignements pratiques interdisciplinaires », aussi ambitieux dans leurs objectifs que limités dans leurs moyens ? Dans les faits, au-delà des quelque 4 000 postes créés dans ce sens et la résistance syndicale ne désarmant pas, « tous les enseignants ne se l’approprieront pas à la même vitesse » ni avec la même ardeur pédagogique.

Relations École / Parents : des mesures pas toujours appliquées et d’autres à expérimenter…
Là encore, il y avait unanimité sur les constats et les enjeux : la persistance tenace d’une trop grande distance réciproque entre équipes enseignantes et parents, l’urgence d’un partenariat plus étroit pour une co-éducation réussie. Pour y faire pièce, les ministres successifs ont imaginé l’espace-parents, la mallette des parents, la promotion des représentants de parents d’élèves… Ces dispositions se sont heurtées à la plus ou moins bonne volonté des chefs d’établissements et des équipes enseignantes, s’imposant de façon très inégale selon les lieux. Dans ces conditions, le rapport de la mission parlementaire constituée en 2014 explore plusieurs pistes encore inexploitées : le renforcement de la présence et du statut des parents à l’intérieur des établissements (statut des parents donnant plus de possibilités aux parents volontaires en activité, collège de parents pouvant s’auto-saisir des questions éducatives jugées prioritaires) ; l’amélioration de la communication pédagogique (le « plan de vol » expliqué aux parents) ; la médiation éducative (un interlocuteur unique auprès des établissements pour régler les conflits avec les parents). En banlieue, la distance culturelle et la conflictualité potentielle restent fortes entre l’institution scolaire et les parents : il paraît donc urgent d’expérimenter ces diverses voies de résolution.

Numérique : négocier les moyens, apprendre à travailler autrement.
L’ambition stratégique a été affirmée dans le domaine de l’e-éducation, depuis la loi de refondation et le programme « écoles connectées » jusqu’au plan numérique annoncé par le chef de l’État en 2015, visant à doter l’ensemble des collégiens de moyens numériques mobiles. Dès la rentrée prochaine, le « codage » entrera à l’école primaire et la spécialité « informatique et sciences du numérique » sera offerte à tous les élèves de seconde. Pour les collectivités, il s’agit désormais de s’assurer que les moyens suivront pour l’achèvement du réseau internet à très haut débit et la connexion des établissements, l’équipement des collégiens et la formation des enseignants. Mais il leur faudra aussi s’assurer que l’institution scolaire pourra s’affranchir des rigidités réglementaires en vigueur dans ce domaine (au nom de la protection des enfants), et veiller également à ce que les équipes volontaires puissent développer leurs projets et que le développement du numérique se fasse de facto au bénéfice de la liberté et de la créativité éducatives, de l’innovation pédagogique et sociale nécessaire dans les secteurs en difficulté.

Contenus de programmes : clarifier, simplifier, expliquer, encore et toujours.
Le nouveau programme de maternelle est entré en vigueur en 2015. Ceux de l’école élémentaire et du collège seront appliqués à la rentrée 2016. Si les premiers ont été bien accueillis, ils doivent désormais être bien expliqués aux parents. Quant aux derniers, il faut que le nouveau Conseil supérieur des programmes indépendant (CSP) joue son rôle et contribue à aplanir les différends qui persistent. L’objectif : définir à chaque niveau d’enseignement (école, collège, lycée) un niveau d’ambition et un socle de connaissances, avec « l’organisation par cycles » visant à son acquisition, à charge pour les établissements de déterminer au-delà, les objectifs et les moyens à affecter à leurs besoins et projets pédagogiques particuliers. L’impératif commun : communiquer et expliquer pour favoriser la continuité éducative avec les autres cycles et types d’établissements, comme avec les familles si l’on veut qu’elles soient partenaires actifs de la réussite éducative.

 

Sources :
* « Les premières évaluations de la loi Refondation » (comité de suivi) (5/5) – AEF. 29/04/2016
* « Les Journées de la Refondation décriées par la majorité des syndicats enseignants » – AEF. 04/05/2016
* « Les enseignants ne sont pas assez équipés pour le nouveau parcours scolaire » (M. Lussault, Journées de la Refondation) – AEF. 04/05/2016
* « François Hollande : « Il faut donner toutes ses chances à la réforme du collège » » (Journées de la Refondation) – AEF. 03/05/2016
* « La Refondation se poursuivra après 2017 » (Vincent Peillon, aux « Journées de la Refondation ») – AEF. 02/05/2016
* « Refondation » de l’école : le gouvernement fait son show – Le Monde. 02/05/2016
* Refondation de l’école : où en est-on ? – Le Monde. 01/05/2016
* La Refondation de l’école, 4 ans après – Localtis. 05/05/2016