Eco-quartier au Val de Reuil; quand l’architecture frugale crée du lien social

Si vous vous rendez en semaine aux Noés vous croiserez peut-être les enfants qui se rendent à l’école en asinobus, un étonnant dispositif d’éco-mobilité : les écoliers vont à pieds, guidés par un âne et son animateur. L’animal porte leurs cartables. Mais rien d’étonnant pour les habitants de l’éco-quartier des Noés qui est en zone piétonne (les voitures sont maintenues en périphérie). Grâce à ces dispositifs simples, le lien social est bien plus qualitatif que dans une banlieue classique faite de tours et de barres. L’urbanisme y est lui aussi très innovant : la végétation est omniprésente et s’accorde aux façades de bois des habitations bioclimatiques dont l’isolation est exceptionnelle : en hiver, il fait environ 20°C dans les appartements et ce, sans chauffage. Au fil des venelles de cet éco-quartier livré à la fin de l’année 2016, on découvre jardins partagés familiaux et espaces de maraîchage  ; Val-de-Reuil, dernière des neuf villes nouvelles réalisées durant les années 1960, trouve là un second souffle ! Preuve que la transition écologique n’est pas une lubie de bobos mais une voie durable et valable dans laquelle toutes les communes peuvent s’engager.

Pourquoi ?

Imaginée pour 100 000 habitants dans les années 1960, Val de Reuil n’en accueillera jamais plus de 20 000.  Pensées pour assurer un équilibre social, économique et humain dans des bassins où la population connaît à l’époque un fort taux de concentration, ces villes ne rempliront pas toutes leur cahier des charges. C’est le cas de Val de Reuil, surendettée par la construction d’équipements démesurés. Au tournant des années 2000, la ville se compose de 93% de logements sociaux. La municipalité fait alors le choix d’attirer les classes moyennes pour enfin réaliser la mixité sociale tant espérée. Enfin, construite le long de l’Eure, à proximité de la réserve ornithologique de la Grande Noé, Val de Reuil cherche une cohérence territoriale.

Comment ?

Plutôt que de détruire, les programmes mis en œuvre par la municipalité, avec le concours de l’ANRU, font le pari audacieux d’étendre la ville, de construire des logements individuels pour attirer justement la classe moyenne, tandis que le développement durable est dès le départ, un axe majeur du projet. Porté par l’architecte et urbaniste Philippe Madec, la création de l’écovillage (comme l’appellent les rolivalois) s’est étalée sur dix ans. Peu à peu les opérateurs se sont convertis à la cause verte notamment grâce à l’opiniâtreté de l’architecte dont le maire en parle comme d’un « fédérateur ». Si certains acteurs étaient déjà acquis à la cause (comme les paysagistes d’In Situ et Arc en Terre ; Tribu,  le bureau d’études d’Alain Bornarel spécialisé en développement durable et énergie ; les spécialistes de l’hydrologie chez Ecotone ou encore ceux de la géobiologie chez Fleur de Lys et jusqu’à Aurore, l’entreprise d’horticulture) d’autres n’avaient ni la connaissance, ni le goût pour les projets orientés développement durable, construction passive et bioclimatique. C’était le cas de Bouygues Bâtiment Grand Ouest, mandataire du projet, avec qui un contrat de CREM (conception-réalisation-entretien-maintenance) avait été passé antérieurement. Mais les employés présents sur le terrain ont été réceptifs. La Siloge, maître d’ouvrage et bailleur social qui avait lancé le CREM avec Bouygues y a aussi vu peu à peu son intérêt financier, car grâce à cette ambition écologique innovante, la Région et l’Europe ont subventionné la création du quartier.

Construit sur les rives de l’Eure, l’écoquartier des Noés est en partie submersible. C’est de cette faiblesse initiale qu’il tire son nom – la toponymie bretonne et normande appelle noë les bords de rivière, en souvenir du gaulois nauda : cuvette ou trou d’eau-. Une faiblesse de situation qui est devenue une valeur : les jardins familiaux et les maraîchages bio y ont trouvé naturellement leur place tandis que les habitations ont été installées sur la frange non submersible. L’omniprésence du végétal et des zones cultivées contribuent également à créer de la richesse et du lien social : la coopérative des Jardins de Neustrie assure la prise en charge du maraîchage et emploie des personnes en réinsertion. Si chaque maison individuelle dispose d’une parcelle de jardin séparée des autres par des claustras, les outils des jardins familiaux partagés sont en commun et sont eux aussi gérés par la coopérative des Jardins de Neustrie.

Quel bilan ?

De nombreuses entreprises du secteur pharmaceutique sont implantées sur la commune de Val-de-Reuil. La présence de Sanofi-Pasteur sur son territoire fait de Val-de-Reuil la capitale française de la production de vaccins. Cette industrie de pointe compte nombre de cadres et d’ingénieurs qui pourraient bien faire le choix de s’installer sur la commune pour se rapprocher sensiblement de leur lieu de travail. Le prix Equerre d’argent dans la catégorie « Aménagement urbain et paysager » remis par Le Moniteur au quartier en 2017 vient appuyer la reconnaissance de la profession pour ces projets passifs et l’importance de penser aujourd’hui une architecture frugale (telle que développée par Alain Bornarel dans son ouvrage Manifeste pour une frugalité heureuse). Enfin dès sa livraison en 2016, les Noés étaient consacrés par le label ministériel Ecoquartier. Cette création a sensibilisé une belle partie des acteurs du secteur : le Siloge s’est notamment engagé à rénover dans cette optique d’autres quartiers selon les mêmes préceptes qu’aux Noés. Pour Philippe Madec cette démarche soutenable « doit être reproductible ». C’est d’ailleurs à son atelier que le Siloge vient de confier la réhabilisation des 90 logements des Andelles. Un ensemble des années 80 sur le territoire de la commune et voisin des Noés.
De nombreux autres prix viennent récompenser ce quartier et ses créateurs : le Grand Prix de la Ville Durable, la sélection aux «Green Solutions Awards» de Bonn pour la COP23, le Grand Prix de l’Aménagement/Construction en Zones Inondables et, très récemment la Victoire du Paysage.

Le projet en photos

Interview de Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Reuil

La création de zones de vie collectives dans ce nouvel espace ont-elles permis à Val de Reuil de créer ou d’accentuer le lien social entre les habitants de ce quartier des Noés ? 

Je pense que le lien social est parti de l’expérimentation et de l’exception. De l’expérimentation parce que ce projet est novateur, moderne. Il a permis à Val-de-Reuil de renouer avec le sentiment d’être une Ville Nouvelle. Un sentiment d’appartenance très fort s’est forgé. Et de l’exception parce qu’il s’agit là d’un quartier entièrement neuf, entièrement dessiné par un architecte. Les gens se sont sentis à part dans le bon sens du terme. Ils ont tout de suite compris que quelque chose leur était offert, à eux, ensemble.
Plus que l’asinobus ou les jardins partagés, les habitants des Noés ont eu le sentiment d’avoir la chance de réduire leurs coûts et d’améliorer leur qualité de vie. C’est un quartier qui a été uniformément bien pensé, pas comme le reste de la ville, construit très rapidement dans les années 1980. Les rues construites par l’architecte Philippe Madec donnent en effet envie de s’y promener, de s’y rendre pour un temps de loisirs partagés. La singularité de ce projet s’exprimait déjà sur les plans.

Quelles sont les premières remontées faites par les habitants ? Ont-ils une perception meilleure de leur habitat qu’auparavant ?

La première remontée peut sembler très terre à terre mais elle est essentielle. Les habitants me disent « j’étais dans un autre immeuble je payais très cher en chauffage. Aujourd’hui nous sommes en février, le chauffage est éteint et je n’ai pas froid. » Il y a une satisfaction générale sur ce point ! J’entends aussi « on payait un deuxième loyer en chauffage, on a arrêté. » Et en effet, ces économies sont colossales puisque les bâtiments des années 1980 où vivaient les habitants actuels des Noés étaient souvent chauffés au tout électrique. Même si les familles volontaires ne sont pas celles qui étaient dans les situations les plus difficiles, il y a presque une notion d’aisance nouvelle. La deuxième remontée c’est la fierté d’être dans une expérimentation environnementale, qui elle-même découle de l’idée d’économie… Mieux isoler, mieux éclairer, mieux disposer les immeubles. Les habitants savent d’où viennent leurs économies. L’architecte Madec est apparu comme le pape de l’écoquartier. Il a fait des réunions avec les futurs habitants, il s’est vraiment impliqué et a inculqué des principes environnementaux aux partenaires et aux habitants. La Siloge a fait des efforts. Bouygues aussi. Philippe Madec a emmené la mairie dans ses valises et a convaincu les gens. Il a saisi cette possibilité de terrain et de financement qui était offerte puis il a fait à la fois la propagande et le mode d’emploi de ce futur quartier, bien au-delà de son seul rôle d’architecte.

Forte de ce succès, la commune a-t-elle d’autre projets « durables » ?

La siloge a proposé à Philippe Madec de rénover un ancien quartier en face de celui des Noés, le hameau des Lambelles. Nous avons voté fin mars en Conseil Municipal la déconstruction des ilôts centraux pavillonnaires pour leur préférer des cœurs de verdure. Le centre de cet ensemble (100 à 150 maisons individuelles) sera sans voitures lui aussi. Nous sommes pour la troisième fois lauréat des programmes de rénovation urbaine. La dynamique est lancée. De plus, les obligations de l’agence sont corrélées au respect d’un ensemble de normes environnementales, comme le recours aux multi-énergies plutôt qu’au tout électrique, l’isolation par l’exterieur, etc.
La commune a également un projet de stade et un projet de groupe scolaire qui seront des petites merveilles d’écologie, de durabilité. Enfin nous avons obtenu de Cemex, le cimentier local, de nous créer un parc le long du quartier des Noés puis le long de la voie ferrée allant vers Rouen. Il s’agit d’une mise en communication progressive des parcs urbains avec la zone ornithologique qui se trouve sur le territoire de la commune.

La municipalité a pris conscience du réchauffement climatique, de la notion de transition. Cela accompagne la nécessité de rénovation urbaine. Philippe Madec est un convaincu, la ville a reçu à travers lui une palanquée de prix architecturaux français et européens (avec parfois face à nous des villes comme Tokyo, Hambourg). Le caractère organisé de sa pensée n’a rien laissé de côté. Le quartier est beau. Quand le financeur va jusqu’au bout, c’est mieux. Ce programme n’a pas manqué d’argent, c’est vrai. Le quartier est paysagé, on a modelé de jolis petits ponts au dessus des Noues. Les parkings ne sont pas bitumés, ils sont paysagés eux aussi et ça, ça vaut le coup. Nous avons aujourd’hui la chance de faire de la cohésion de ville en connectant l’ancien quartier au nouvel éco-quartier… C’est beau de réintégrer les choses grâce à une greffe comme celle-là !

Fiche d'identité de la communeLe projet en chiffresPour aller plus loin
  • Commune : Val-de-Reuil
  • Département : Eure (27)
  • Région : Normandie
  • Population : 13 601 habitants
  • Maire : Marc-Antoine Jamet (PS)
  • Site internet : www.valdereuil.fr
  • chauffage 15 kWh/m2/an contre 200 kWh/m2/an moyenne nationale
  • 98 logements (petits collectifs ou individuels)
  • Un éco-quartier de 4,5 ha