Les maires des villes de banlieue et la participation citoyenne – Une enquête auprès des maires de Ville & Banlieue

 Quelques points forts de notre enquête

L’évidence s’en trouve confirmée à chaque nouveau scrutin : ce n’est pas seulement notre modèle économique et social qui est en crise, mais également notre démocratie. Avec des records de défiance affichée à l’égard du personnel politique et des records d’abstention électorale – y compris à l’échelon local, longtemps considéré comme le plus populaire et respecté des citoyens.
Alors que la société civile marque de mille manières – dans ses manifestations, ses associations, sur ses forums, ses réseaux sociaux… – sa vitalité et son impatience à être mieux prise en compte, ou en est l’expérience politique de la participation citoyenne ? Et singulièrement en banlieue, là où les effets les plus délétères du chômage et de la précarité rencontrent les signes les plus marqués de rupture sociale, alors que la réforme engagée de la politique de la ville renforce l’exigence de participation pour la prochaine génération de contrats de ville.
A quelques semaines des dernières municipales, l’Association des maires Ville & Banlieue de France a voulu interroger ses maires adhérents [1] pour sonder à la fois leurs représentations et leurs pratiques de la participation citoyenne, interroger leurs convictions et leurs intentions politiques dans ce domaine. Retour sur les conclusions de cette enquête, qui confirment certaines intuitions mais tranchent aussi avec nombre d’idées reçues.

  1. Des politiques locales assumées, autonomes et réelles en faveur de la participation citoyenne. Ces politiques publiques existent dans la plupart des communes, nées avec les dispositifs de la politique de la ville, dont elles se sont souvent aujourd’hui affranchies pour constituer des démarches spécifiques, qui concernent désormais l’ensemble de la commune et plus seulement les quartiers sensibles. 9/10 des maires affirment ainsi concerter régulièrement ou systématiquement leurs populations. ¾ d’entre eux ont désigné un élu pour porter cette délégation, 60 % des villes s’étant dotées d’un référent administratif, 52 % d’un service dédié, 50 % d’un budget spécifique ou d’une charte de la participation.

     

  2. Redonner la parole aux citoyens, améliorer la qualité des projets et des décisions, bâtir ensemble la cité au-delà des affrontements et des conflits. Lorsqu’on interroge les maires sur le sens politique qu’ils donnent à la participation citoyenne, ils disent (à 58 %) vouloir garder le contact avec les citoyens ordinaires et faire parler la société civile, lui permettre de s’émanciper et de s’exprimer, rapprocher les institutions des citoyens (à 47 %). Mais ils sont 71 % à mettre en avant le souci de recueillir l’avis du public pour améliorer les actions et les projets de la municipalité. 68 % disent ainsi vouloir « co-construire » leurs projets avec les habitants de leurs communes, … veulent vérifier l’adhésion de la population à tel ou tel projet. 42 % veulent surtout informer et concerter sur ces projets. Et ils sont encore 21 % à rechercher ainsi à moderniser leurs services publics. Enfin, presque tous entendent développer des échanges pacifiés et constructifs au-delà des affrontements et des conflits réguliers. Fait notable : un maire sur 7 seulement y voit une forme de contrôle citoyen. Aucun n’accepte l’idée de « délégation de pouvoir ». Aucun n’adhère à l’idée que la participation peut être une forme de « thérapie sociale ». Et tous rejettent l’accusation de « manipulation ».

     

  3. Des politiques attachées à renouer les fils de la proximité, à rassembler régulièrement les citoyens de la commune hors de toute obligation et de tout agenda électoral. Concrètement, la démocratie participative recouvre des conseils de quartiers (dans des villes souvent très loin d’atteindre le seuil d’obligation des 80 000 habitants), des commissions extra-municipales, des conseils de jeunes ou de seniors, des instances multiformes de réflexion et d’échanges ; des réunions publiques, des ateliers ou des groupes de travail… mais aussi des formes plus expérimentales de rencontres : panels citoyens, diagnostics en marchant, forums ouverts. C’est la proximité qui prévaut dans ces exercices qui mobilisent les ressources internes de la municipalité et rarement des prestataires extérieurs. Une proximité dont les maires s’efforcent progressivement d’élargir le cercle : ¾ d’entre eux concertant à l’échelle de la ville contre moins de 2/3 à l’échelle des quartiers… Mais seulement 10 % au niveau de l’agglomération : échelon où la représentation politique peine à se faire connaître du grand public, où le sentiment d’appartenance citoyenne reste moins développé et la démocratie participative encore balbutiante.

     

  4. Les habitants consultés sur deux grands domaines d’action : le cadre de vie urbain et la jeunesse. L’habitant est ainsi d’abord sollicité comme « usager » sur tous les thèmes qui se rapportent à l’urbanisme, à l’aménagement, au logement et à l’habitat, à l’environnement et aux transports : domaines dans lesquels sa pratique quotidienne de la ville lui confère expérience et expertise. Par ailleurs, – dans des villes où le devenir des jeunes constitue une préoccupation très largement partagée – la concertation porte sur la jeunesse, l’éducation, le sport et la culture : domaines dans lesquels les familles éprouvent sans doute le plus besoin d’être informées et soutenues.

     

  5. Des concertations sincères, efficaces et productives pour une majorité d’élu(e)s. Loin des « concertations alibis » auxquelles se résument trop souvent les enquêtes publiques et autres formes de concertation réglementaire, la participation semble être le fruit d’une volonté politique sincère de prendre l’avis du grand public. Rétrospectivement, 66 % des maires se montrent positifs à l’égard des démarches de concertation qu’ils ont menées dans leurs communes, et 60 % évoquent des concertations utiles et concluantes, ayant vraiment servi à nourrir et/ou infléchir les projets de la municipalité.

     

  6. Trois limites fortes : les difficultés à mobiliser les participants, à réguler le processus participatif, à toucher l’ensemble des catégories et des groupes sociaux. Volontiers positifs sur le chapitre, les maires n’en sont pas moins conscients des difficultés et des limites de la participation.
    Première limite évoquée : celle de la mobilisation des relais internes (élu(e)s et cadres administratifs), comme celles des habitants eux-mêmes. A telle enseigne qu’en dépit des efforts déployés par eux, 60 % des maires parlent d’une participation moyenne à peu près constante dans le temps, plafond très difficile à dépasser quels que soient les moyens engagés.
    Deuxième limite évoquée : celle de la régulation de l’exercice participatif, qui apparaît délicat, périlleux, butant régulièrement sur le mécontentement, la frustration, l’agressivité des participants.
    Dernière limite enfin, de loin la plus fréquemment évoquée : celle de la représentativité des instances et des populations participant aux réunions. Les maires confirment sur ce point « voir un peu toujours les mêmes personnes », (militants politiques et membres des associations les plus connues ?), ou bien les groupes de pression se mobilisant pour défendre un intérêt particulier. Surtout, ils avouent ne pas réussir à mobiliser les personnes les plus vulnérables, les plus marginalisées ou en difficultés de leur commune : ils sont ainsi 70 % à juger que leurs instances de participation citoyenne ne sont pas suffisamment représentatives, voire très peu représentatives de la population, et autant à reconnaître que les plus fragiles demeurent les grands absents des réunions de concertation publique… alors que 55 % déclarent développer des actions pour mobiliser les populations les plus éloignées de la chose publique.

     

  7. Pour l’avenir ? Continuer de développer la démocratie participative, mettre en place les conseils de citoyens (malgré certaines critiques), tenter malgré toutes les difficultés de rendre (une part de) l’initiative aux habitants. Plébiscite massif en faveur de la participation citoyenne : 95 %  des maires de banlieue souhaitent poursuivre l’expérience. L’obligation instaurée par la loi Lamy, de réforme de la politique de la ville, à travers les conseils de citoyens ? Une bonne chose pour 55 % des élus, même si 30 % auraient souhaité disposer de plus de liberté pour choisir la forme de concertation à développer dans ses quartiers… et 20 % voir se mettre en place un dispositif plus contraignant ! Enfin, ils sont 97 % à juger « indispensable » ou « nécessaire » le développement du pouvoir d’agir des habitants : façon d’en appeler tranquillement à une véritable révolution de notre démocratie, menacée – malgré les avertissements plus que centenaires de Tocqueville – de conduire les citoyens (des quartiers, comme ou plus qu’ailleurs ?) à leur propre démission.

 

[1] Enquête menée en février-mars 2014 auprès des 120 maires de l’association, ayant obtenu 38 réponses de maires de villes de banlieue, totalisant plus d’un million et demi d’habitants.

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