Enquêtes urbaines sur la misère du monde

« 80% des maires constatent une aggravation de la pauvreté dans leur commune ». Tel est l’enseignement majeur des résultats 2014 de l’enquête réalisée par TNS Sofrès pour le Secours catholique, largement reprise par les médias ces dernières semaines. Des chiffres à rapprocher des conclusions d’une autre étude de cette association, rendue publique le 6 février dernier, sur la prise en compte des pauvretés et leur traitement dans les communes franciliennes de plus de 10 000 habitants.

 

Pauvreté en ville : une découverte pour les uns, le quotidien des autres ?

Des constats globalement inquiétants…
71% des maires interrogés pensent que les personnes en situation de pauvreté sont, dans leur commune, « un peu (nombreuses) plus qu’avant, 9% estimant même qu’elles le sont « beaucoup plus qu’avant ». Ce qui traduit sans doute autant une augmentation de la prise de conscience qu’une aggravation de la crise sociale, puisqu’ils n’étaient que 51% en 2008, lors de la précédente enquête, à évoquer une augmentation locale de la pauvreté.
Lorsqu’on les interroge sur les catégories les plus touchées par le phénomène, une majorité d’élus évoquent les femmes seules avec enfants et les jeunes sans emploi comme les deux catégories pour lesquelles la pauvreté s’est le plus aggravée (63%), devant les personnes en emploi précaire (62%), les chômeurs de longue durée (55%).

…que partageraient les maires de banlieue, à quelques nuances près
Les élus de banlieue feraient-ils le même diagnostic ? C’est probable, mais comme le secrétaire général du secours catholique lui-même, sans doute ajouteraient-ils deux catégories à ce recensement, catégories fortement représentées dans leur commune : les familles et les personnes migrantes ou issues de l’immigration, bien plus que les personnes sans abri, qui s’avèrent être aussi nombreuses dans les villes centre qu’en périphérie urbaine pour des raisons bien compréhensibles.

L’action sociale des villes : centrée sur le logement et l’éducation
Face à ces constats, la quasi-totalité des maires considèrent avoir « pris des initiatives » et « fait des efforts plus importants » ces dernières années, à travers des actions qui concernent majoritairement l’aide aux impayés (loyer, gaz, eau, électricité : 58% des réponses), les services d’aides à domicile (57%) et le soutien scolaire aux enfants (56%).
Au point que si les trois quarts des maires (76%) jugent que le lien social s’est plutôt dégradé en France, ils ne le diraient pas pour leur propre ville, dans laquelle ils considèrent sans ironie que la situation se serait « plutôt améliorée » (40%) ou n’aurait « pas changé » (46%).

 

Solidarité : les villes riches préfèrent la laisser aux villes pauvres !

Révélation de l’enquête conduite par le Secours catholique sur les politiques de solidarité menées par les villes de plus de 10 000 habitants : « une forme inquiétante d’abandon de ces sujets par les communes riches aux municipalités déjà les plus en prise avec la misère ».

L’exemple de l’hébergement
76% des communes répondantes ne disposent ainsi d’aucune place d’hébergement
alors que la loi impose un minimum de 5 places pour une ville de 10.000 habitants. Mais celles qui en proposent sont souvent les moins riches, comme Saint-Denis, Brétigny-sur-Orge ou Argenteuil…
Dans les Yvelines, les lieux choisis pour l’hébergement temporaire des demandeurs d’asile sont Sartrouville, Chanteloup-les-Vignes, Les Mureaux, Porcheville ou Trappes, relève le Secours catholique, « c’est-à-dire les villes les plus pauvres du département ».

Plus elles sont aisées, plus les communes tournent le dos au logement social et très social
Plus de 44% des communes
ayant répondu à l’enquête offrent moins de 25% de logements sociaux. 85% des communes ont moins de 10% de leurs logements sociaux en PLAI ou ignorent cette dénomination. L’écart est de 1 à 17 entre les plus actives (pour Bonneuil-sur-Marne).et les moins actives dans la réalisation de logements sociaux (Neuilly-sur-Seine). Et les plus engagées sont aussi les communes les plus pauvres : Champigny-sur-Marne, Villetaneuse, Montfermeil…

Une politique de domiciliation très restrictive
Les écarts sont également très forts dans la mise en œuvre de la « domiciliation », dispositif qui permet aux personnes sans domicile stable de recevoir du courrier privé ou administratif et d’accéder à leurs droits civils, civiques et sociaux. « 14% des communes admettent ne pas du tout pratiquer la domiciliation et être donc hors la loi »… alors qu’en Ile-de-France, 1 % de la population aurait besoin de domiciliation, « soit 4 fois plus que ce que les communes offrent », estime le Secours catholique.
Certaines villes arguent qu’il n’y a pas de SDF chez elles. Beaucoup pratiquent la domiciliation au compte-goutte : certaines villes seulement au titre du DALO et à condition de pouvoir vérifier que la personne aidée a des attaches réelles avec la ville. Le taux de personnes bénéficiaires par rapport au nombre d’habitants varie beaucoup. Enfin, la domiciliation « Asile » n’est assurée que par 24% des mairies, « alors qu’elle est absolument indispensable pour prétendre au droit à l’asile…

Des politiques publiques aveugles dans une commune sur deux
« La moitié des communes pilotent leur politique sociale sans visibilité, c’est-à-dire sans une connaissance fine des situations de pauvreté sur leur territoire », fait valoir l’association. En dépit de la loi qui l’impose en principe depuis 1995, seulement 48,5% des communes ont réalisé une analyse de besoins sociaux (ABS).

Des initiatives mais peu de communication : une discrétion volontaire ?
Une large majorité des maires interrogés affirment avoir développé une politique d’accueil
. Ainsi 94% des communes déclarent faciliter l’accès physique aux démarches administratives. 89% déclarent que leurs agents municipaux d’accueil ont bénéficié d’une « formation à l’écoute ». 80% d’entre elles proposent des activités culturelles pour les familles les plus en précarité à des conditions accessibles. Un tiers ont pris des engagements sur la qualité de leur accueil, par exemple via une « charte d’accueil ». Dans les crèches, 67% des communes proposent des conditions d’accès adaptées aux enfants dont les parents sont sans emploi ou à temps partiel. Enfin, près de 50% mettent à disposition un écrivain public aux personnes en grande difficulté …
Si l’on en fait le bilan, une action pas du tout déshonorante, qui fait pourtant l’objet de peu de publicité localement, comme s’il s’agissait de ne pas faire de bruit pour n’exacerber ni les demandes des personnes en situation de vulnérabilité, ni les récriminations de ceux qui n’en bénéficient pas.

Lien :
http://www.secours-catholique.org